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premier germe en avait été déposé au fond de son âme, cet instinct sublime et presque divin qu’elle nommait sa mission se sentant désormais, après quatre années de gestation féconde, en possession de tous les organes de la vie, tendait alors, avec une force irrésistible, à apparaître en pleine lumière et à se faire jour au dehors. Une fois ce moment venu, deux influences, l’une militaire, l’autre religieuse, vinrent puissamment en aide à ce qu’on pourrait appeler la délivrance de Jeanne. L’influence militaire, la seule que l’on ait aperçue jusqu’à ce jour, fut l’imminence du danger créé par le siège d’Orléans. L’influence religieuse, que nous signalons ici pour la première fois, fut la foi de la pieuse jeune fille aux grâces spéciales attirées sur la France par le jubilé du grand vendredi de l’année 1429.

Ce fut le vendredi 25 février au soir, un mois juste avant l’ouverture du jubilé, que Jeanne quitta Vaucouleurs pour se rendre à la cour de Charles VII. Après onze jours de trajet, elle arriva à Chinon le 6 mars, le jour même où tomba, en 1429, ce fameux dimanche de Lætare ou des Fontaines, dont une tradition plusieurs fois séculaire avait fait la fête par excellence de la jeunesse des bords de la Meuse. Tout entière à sa mission et les yeux fixés sur Orléans que les Anglais étreignaient dans un cercle de plus en plus étroit, elle ne pouvait songer alors à se rendre au Puy ; mais nous savons qu’elle y envoya en pèlerinage quelques-uns des hommes d’armes qui avaient composé son escorte dans le trajet de Vaucouleurs à Chinon. Ce fait, le plus important sans contredit et le plus nouveau de tous ceux qu’il nous a été donné d’établir, ressort avec évidence d’un passage, mal compris par nos devanciers, de la déposition de l’aumônier de la Pucelle. Voici la traduction littérale de ce passage. Frère Jean Pasquerel, de l’ordre des ermites de Saint-Augustin, a dit et dépose sous la. foi du serment que, la première fois qu’il entendit parler de Jeanne et de sa venue à la cour, il était au Puy, où se trouvaient également la, mère de Jeanne et quelques-uns de ceux qui avaient amené la Pucelle vers le roi. On lia connaissance, et la mère, ainsi que les compagnons de Jeanne, dirent au déposant qu’il était convenable qu’il se rendit avec, eux auprès die la Pucelle et qu’ils ne le quitteraient pas avant de l’avoir conduit vers elle. Et ainsi il vint avec eus jusqu’à Chinon et de là jusqu’à Tours, où il était alors lecteur du couvent que son ordre possédait dans cette ville. »

Assurément, aucun de nos lecteurs ne s’étonnera de trouver la femme de Jacques d’Arc dans la foule des pèlerins accourus au Puy de tous les points de la France. Il en faut conclure que la mère de la Pucelle peut être rangée avec certitude parmi les dévotes, que