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de s’imposer certaines austérités, de se livrer à des pratiques de dévotion déterminées. Le carême de 1429 eut ainsi, notamment dans la France centrale et les provinces restées fidèles au dauphin, un caractère particulier de recueillement et de ferveur. Huit mois auparavant, Jeanne avait désigné cette époque comme celle où Dieu devait opérer le salut de la France. Le passage auquel nous faisons-allusion est tellement curieux qu’on nous saura gré de le citer textuellement. « Vers la fête de l’Ascension (jeudi 13 mai 1428), elle disait, rapporte un témoin oculaire, Bertrand de Poulangy, elle disait qu’elle était venue vers Robert de Baudricourt, de la part de son Seigneur, afin qu’il mandât au dauphin de se bien tenir et de ne point livrer bataille à ses ennemis, parce que le Seigneur lui donnerait secours avant la mi-carême. »

Comme le secours indiqué ici n’était autre que la mission dont la Pucelle se croyait chargée depuis 1425, il faut sans doute voir dans ces paroles moins une prophétie qu’une résolution arrêtée à l’avance. Qui pourrait s’étonner qu’une chrétienne aussi fervente, attendant tout de l’appui céleste dans l’œuvre de l’affranchissement de son pays, eût choisi pour entreprendre cette œuvre le moment où des mortifications générales, des pratiques de dévotion extraordinaires, les indulgences plénières attachées au jubilé devaient valoir à ses concitoyens opprimés les effets de la miséricorde divine ? Quoi qu’il en soit, il paraît certain que cette considération fut mise en avant par les conseillers de Charles VII pour décider ce prince à ne pas repousser de prime abord les ouvertures de Jeanne : » Le roi, firent remarquer ces conseillers, en considération de sa propre détresse et de celle de son royaume et ayant égard à la pénitence assidue et aux prières de son peuple à Dieu, ne doit pas renvoyer ni rebuter cette jeune fille. »

Après ces explications, on comprendra mieux l’impatience de la Pucelle lorsque, dans les premiers jours de février 1429, pendant son séjour de trois semaines à Vaucouleurs chez Henri le Royer, elle vit arriver la date qu’elle s’était fixée dès le milieu de l’année précédente pour inaugurer sa mission, c’est-à-dire le commencement du carême, avant qu’elle eût réussi à arracher à Baudricourt la promesse d’être menée devant le dauphin. L’impatience qu’elle ressentait lui inspira alors une de ses paroles les plus mémorables. Ou y trouve ce je ne sais quoi de simple et de fort qui permet de reconnaître entre mille les mots qu’elle a réellement prononcés ; c’est perçant comme la pointe d’un glaive, et cela se grave ineffaçable dans le souvenir : « Le temps, dit-elle à Catherine son hôtesse, le temps me pèse comme à une femme qui va être mère. » C’est que, depuis la fameuse journée de l’été de 1425, où le