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Maintenant que va-t-il arriver? Un cabinet de la droite ne semble guère possible pour le moment. Un ministère de la gauche ne peut être qu’un remaniement nouveau après tant d’autres remaniemens qui se sont succédé depuis trois ou quatre ans, qui ont fait passer au pouvoir ensemble ou à tour de rôle M. Cairoli, M. Depretis, M. Zanardelli, M. Crispi, M. Nicotera. La difficulté est d’autant plus sérieuse qu’on se trouve en présence d’une situation parlementaire absolument incohérente et de cette question de réforme électorale qui a eu peut-être le principal rôle dans la dernière crise, qui pèse sur tous les partis.

Rien n’est facile aujourd’hui au-delà des Alpes, mais ce qu’il y a dans tous les cas à remarquer, c’est l’empressement mis par tous les chefs de partis à désavouer toute intention d’hostilité contre la France. M. Cairoli, avant sa récente mésaventure, n’a point hésité à reconnaître notre droit de légitime défense. Le ministre de l’intérieur, M. Depretis, et le chef de l’opposition, M. Sella, ont rivalisé de témoignages affectueux pour la France. M. Crispi lui-même a prétendu qu’un conflit entre les deux pays serait une vraie guerre civile, et si ce n’est de la part de M. Crispi qu’une précaution de candidat au pouvoir, elle est significative. Il est clair que dans aucune tête sérieuse il n’y a la pensée de compromettre l’Italie pour Tunis, pour les équipées d’un consul brouillon, et chez la plupart des hommes politiques de Rome, il y a au contraire le sentiment plus ou moins avoué des imprudences qui ont été commises. Qu’on laisse de côté une bonne fois les vaines susceptibilités, qu’on revienne à la simple vérité des choses, on reconnaîtra que dans ces événemens qui commencent il n’y a rien dont l’Italie, pas plus qu’aucune autre puissance, ait à s’émouvoir. Quel peut être en définitive l’objet légitime de la politique de l’Italie dans la régence? L’Italie a le droit d’avoir sa place comme les autres états européens à Tunis, de couvrir de sa protection la vie et la propriété de ses nationaux, la sécurité de ses intérêts. Les nationaux et les intérêts italiens seront certainement, quoi qu’il arrive, protégés à Tunis comme ils le sont en Algérie. Là-dessus il n’y a pas de difficulté. Tout ce que la France demande de son côté et a le droit d’exiger, fût-ce par l’autorité des armes, c’est qu’il n’y ait pas à la frontière un camp hostile, une indépendance douteuse dont on se serve au besoin contre sa domination. Voilà tout, et au moment présent, ce que la France a de mieux à faire pour dissiper toutes les obscurités, pour aider l’Italie à rester dans son rôle, c’est de trancher la question sans perdre plus de temps, de faire acte d’ascendant par son armée, de créer à Tunis une situation où son influence ait ce qui lui est dû sans être le moins du monde une menace pour les intérêts des autres nations.


CH. DE MAZADE.


Le Directeur-gérant: C. BULOZ,