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l’influence française, influence qui procède de la domination de la France en Algérie, des forces militaires considérables qu’elle y maintient et de l’œuvre civilisatrice qu’elle accomplit en Afrique... Lors même que le gouvernement du bey viendrait à tomber, l’attitude de l’Angleterre n’en serait nullement modifiée. L’Angleterre n’a pas d’intérêts engagés à Tunis et elle ne fera dans ce cas rien pour troubler l’harmonie qui existe entre elle et la France... » Voilà qui est clair! le cabinet de M. Gladstone n’est pas tenu sans doute d’accepter sans restriction l’héritage de lord Beaconsfield et de lord Salisbury; il peut y ajouter ou en retrancher. Il peut faire entrer dans sa politique, s’il le veut, s’il le juge pour le moment utile, l’intégrité de l’empire ottoman. Soit, il ne s’agit que de s’entendre ! Lorsque l’Angleterre a pris possession de Chypre, elle n’a pas pensé porter atteinte à l’intégrité de l’empire ottoman. Lorsque l’Autriche, de son côté, est entrée en Bosnie et en Herzégovine, d’où elle ne songe pas à sortir que nous sachions, elle n’a pas cru, elle non plus, manquer à un principe de politique générale qu’elle a sanctionné. Quand les puissances réunies demandent aujourd’hui à la Porte la cession de provinces considérables à la Grèce, elles ne voient là rien d’incompatible avec l’intégrité de l’empire ottoman. En quoi cette intégrité serait-elle moins respectée parce que la France créerait tout simplement une situation plus rassurante pour ce que lord Salisbury appelait son « influence légitime » dans une contrée qui adhère à son territoire, qui depuis plus d’un siècle ne tient à la Porte que par le lien fragile d’une vassalité douteuse? Ni l’Angleterre, ni l’Autriche, ni l’Allemagne, ni la Porte elle-même ne s’en inquiètent sérieusement. L’Italie resterait donc la seule puissance engagée par des susceptibilités étranges encore plus que par ses intérêts dans cette affaire de Tunis, et ici il faut s’expliquer franchement.

L’Italie est une nation trop sensée pour être longtemps la dupe d’une périlleuse illusion, pour mettre toute sa politique dans un conflit d’influences que rien ne justifie ni dans le passé, ni dans la situation présente. Quoi donc! l’Italie date de vingt ans à peine; dans ce court espace elle a vu se réaliser ses espérances les plus illimitées, allant au pas de course de Turin à Milan et à Florence, à Rome et à Venise, à Naples et à Palerme; elle est devenue une puissance comptant en Europe; elle a senti son ambition grandir avec sa fortune, rien de plus légitime : c’est l’histoire de toutes les nations vivaces. L’Italie est cependant bien pressée de s’étendre sans calculer toujours ses forces et ses ressources, de chercher des colonisations lointaines lorsqu’elle a tant à faire chez elle, lorsqu’elle a tant à coloniser dans ses propres provinces. Elle n’a pas même eu le temps de se créer des titres, des intérêts un peu anciens sur ces rives tunisiennes, où son impatience seule l’appelle. — D’un autre côté, la France est depuis plus d’un demi-siècle sur ce sol du nord de l’Afrique. Elle a prodigué ses ressources, le sang de ses soldats pour