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soit sous l’inspiration d’un consul italien arrivé sur ces entrefaites à Tunis, n’a plus laissé échapper une occasion de blesser les intérêts français, tantôt au sujet de la propriété de l’Enfida achetée par une société marseillaise, tantôt plus récemment à propos du chemin de fer de Sousse. Toutes ces questions restent encore en suspens. Le bey a visiblement été la dupe de cette idée qu’il n’avait plus rien à craindre de la France, et par une coïncidence au moins singulière, à mesure que les dispositions hostiles du bey s’accentuaient, l’agitation des Khroumirs sur la frontière se développait. Il n’y a pas, si l’on veut, un lien absolument saisissable entre ces deux ordres de faits, puisque le bey peut dire qu’il n’a pas une action directe sur les peuplades semi-indépendantes, insoumises de la frontière : la coïncidence n’est pas moins à remarquer. Elle s’est manifestée jusqu’au bout, lorsqu’il y a quelques jours la crise décisive a éclaté par un combat que les Khroumirs, violant notre territoire, ont livré à un détachement français. Cette première attaque n’était visiblement que le signe de tout un travail d’insurrection dans les tribus tunisiennes poussées à la guerre contre nous.

Dès lors tout s’est trouvé changé. La France a dû nécessairement prendre un parti, tant pour réprimer une agression qui a déjà fait couler le sang de ses soldats que pour faire sentir dans la régence, à Tunis même, une puissance dont on paraissait s’accoutumer à douter. M. le président du conseil, M. le ministre de la guerre sont allés demander aux deux chambres des crédits qui leur ont été aussitôt accordés d’un vote unanime. Des ordres ont été donnés pour envoyer soit de l’Algérie même, soit de France, des forces sur la frontière de la province de Constantine de façon à être en mesure de demander compte aux Khroumirs de leurs agressions, de les soumettre au besoin, de faire face à tous les événemens. Bref, c’est manifestement toute une action militaire engagée, et à ce point de vue la situation ne laisse pas d’avoir sa gravité, parce que, dans des proportions restreintes si l’on veut, c’est la première épreuve de notre nouvelle organisation militaire. Il ne faut pas s’y tromper, c’est là pour le moment, de la part des amis et des ennemis, le premier objet d’une attention vivement éveillée. Relever des particularités qui peuvent parfois sembler singulières, entrer dans tous les détails de mouvemens dont on ne connaît pas toujours le secret ou le motif, c’est sans doute aller un peu vite, nous en convenons. M. le ministre de la guerre peut avoir ses raisons dans les ordres qu’il donne, dans le choix des régimens qu’il expédie de France, dans la manière dont il compose et organise l’expédition qui se prépare. Dans tous les cas, il y a un point sur lequel il ne peut se méprendre : c’est que plus il a de liberté dans le maniement des puissans moyens dont il dispose au nom de la France, plus il a de responsabilité. Il est attendu à l’œuvre! L’essentiel est qu’il n’y ait plus de temps perdu et qu’il y ait des forces suffisantes dans cette expédition où va être engagée notre