Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/952

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

valent-elles en dehors de la circonstance, et quel idéal la musique ajoutent-elles à ces figures de mélodrame ? Pures illustrations de keepsake, œuvre habile, intéressante d’un partitionnaire merveilleux, mais où le grand artiste n’intervient pas. Ces langueurs, ces fadeurs, cette ritournelle prolongée, ces chatoiemens d’étoffe et ces coquetteries de pastel, même en supposant que tel fût le goût du public, serait-ce là une raison de tant s’y complaire et ne serait-il pas mieux de chercher à l’élargir, ce goût, à l’élever ? On ne détruit pas l’ivraie, c’est certain, mais tâchons au moins qu’il pousse par-dessus un peu de blé. « N’es-tu point honteux, disait Cherubini à Boïeldieu, d’avoir de si beaux succès et de si peu les mériter? » La forme mélodique de M. Gounod, flottante, indécise, ressemble à ce papillon des Indes qui prend la couleur de la plante sur laquelle il vit. Ainsi, dans le Tribut de Zamora, tantôt c’est la plante Aida, tantôt la plante Euryanthe, quand ce n’est pas la plante Lucia. Emprunter des rythmes à Weber, à Verdi, passe encore, mais en aller demander à Donizetti, quelle détresse ! La personnalité, lorsqu’elle vous apparaît, n’existe que dans des combinaisons, des élégances et des curiosités d’arrangement, le reste est monorythmie, monotonie, absence de mouvement. Vous diriez une sorte de panthéisme musical ; hélas ! où tout est Dieu, rien n’est Dieu, et voilà justement ce qu’on peut dire de cette mélodie.


F, DE LAGENEVAIS.