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résultant de la répétition des paroles : « Nous mourrons pour la patrie » et dont la cantatrice va tirer vaillamment profit, car s’il n’y a point de chant national sans une régularité parfaite, de l’irrégularité seule naît le pathétique. Périsse donc l’hymne patriotique des Zamoréens, puisque c’est le triomphe de la Krauss qui le veut ainsi, mais ce que ce triomphe exigerait surtout, ce serait, dès à présent, une création digne d’elle Là-dessus M. Vaucorbeil s’est expliqué de manière à ne plus nous laisser aucun doute lorsque, parlant naguère à la commission du budget, il a pris l’engagement formel de monter Fidelio cette année. Du Gounod, puis encore du Gounod, après Polyeucte, le Tribut de Zamora, c’est en vérité trop doubler du même, et ni le publia de l’Opéra, ni la critique ne supporteraient qu’on maintînt davantage à pareil régime une Gabrielle Krauss. Donnons aux Rachel du Ponsard, il se peut que par occasion elles s’en accommodent, mais soyons bien sûr qu’elles n’en vivront pas; il leur faut Corneille et Racine; et quand nos Rachel sont des Krauss, il leur faut Beethoven.

Le rôle de Ben-Saïd ne se compose guère que d’une suite de tendres cantilènes et d’ineffables roucoulemens ; quanti sospiri! quanti deliri! Bizarre occupation pour un guerrier si bardé de fer que de passer le temps à soupirer la romance à madame ni plus ni moins que ce bel oiseau bleu de Chérubin! Farouche, c’est lui qui le dit et dans quels vers! Muses qui m’entendez, voilez-vous la face :

Fût-ce à demi morte,
Le tigre t’emporte
Dans son autre sourd;
Tu seras la proie
Que sa griffe broie.
Rugisse de joie
Son sauvage amour !


Ce tigre-là n’a que larmes dans les yeux et douces plaintes dans la voix; rendu à lui-même, il revient sur l’heure à sa pâmoison :

A force de t’aimer,
Je veux te désarmer,
O Xaima, daigne m’entendre,
Mon âme est à toi sans retour,
Et s’est donnée en un seul jour,
A ne pouvoir plus se reprendre ;
Mon âme est à toi sans retour.


Je ne le lui fais pas dire; vous le voyez, c’est un Malek-Adel, et par ce trait le type devait séduire le musicien du Tribut de Zamora ; car il y a chez M. Gounod un coin de troubadour et de pastoureau ; en l’écoutant, vous pensez à Florian, comme en écoutant Bellini vous songez à