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Pas un cri, pas un seul ! Ses deux bras abattus
Tombèrent lourdement : ses mains froides cherchèrent
Les têtes des petits, doucement les pressèrent
Contre le beau fichu tout neuf, éblouissant,
Qu’elle avait mis pour mieux faire fête à l’absent,
Et s’asseyant d’un coup :

« Mon homme ! mon pauvre homme ! »

Ah ! comme elle souffrait, la brave femme, et comme
En la voyant ainsi froide, ne pleurant pas.
Je comprenais que tout se ressemble ici-bas,
Et combien sont cruels, en leurs mêmes alarmes,
Les orages sans pluie et les douleurs sans larmes !

Après un long moment, les yeux toujours baissés :

« Cependant les bateaux au large sont passés…
Le Saint-Paul, je l’ai vu, marchait premier en tête…
Il était à Fécamp bien avant la tempête…
Je l’ai vu !.. je l’ai vu ! dit-elle en s’animant.
Ah ! monsieur, on vous ment ! oui, pour sûr, on vous menti »

Et passant sur son front sa main maigre et pâlie
Comme pour en chasser le vent de la folie :

« Pierre va revenir… il revient… sur la mer
J’ai bien vu le Saint-Paul passer dans le ciel clair…
Je le reconnaîtrais entre mille sans peine :
J’ai cousu de mes doigts sa voile de misaine !
Pierre ne pas venir !.. Qui vous a dit cela ?.. »

Plus de doute, à présent : la folie était là
Et d’un instant à l’autre allait saisir sa proie.
Alors, prenant ses nains :

« Le bon Dieu vous envoie,
Lui dis-je doucement, tout bas, avec bonté,
Gervaise, une terrible épreuve en vérité.
Mais reprenez courage, ô ma pauvre affligée !
Songez au lourd fardeau dont vous êtes chargée,
À ces pauvres petits qui n’auront plus que vous ! »

Elle mit les enfans entre ses deux genoux,