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— Oui ! fameux chargement !
— Bonne pêche, pour sûr !
— Ils filent joliment…
— Si ce grain du nord-ouest ne les prend pas en route.
Ils seront à Fécamp avant la nuit sans doute !
— Et deux heures après, au pays !.. »

Le Pays !
Mot simple, mot intime, aux charmes inouïs.
Pour ces humbles vainqueurs de la mer en furie,
À la fois moins et plus que celui de Patrie !

Or donc, tout en rêvant, du haut de mon chalet.
Je les voyais passer gaîment sur le galet,
Quand une douce voix sonnant à mon oreille :
« Eh bien ! et le dîner, monsieur ?.. qu’on se réveille !
La soupe est sur la table et va froidir sans vous ! »

C’est la Gervaise, avec ses cheveux d’un blond roux.
Sa taille tombant droit, sa figure avenante :
Brave femme du port que j’avais pour servante.

Elle était tout émue et joyeuse ; un éclair
S’allumait par instans au fond de son œil clair ;
Le sang rapidement colorait sa peau blanche ;
Elle avait arboré la robe du dimanche.
Le fichu flambant neuf, et le plus beau bonnet :
Après quatre longs mois, son Pierre revenait !
Son Pierre, son époux, son homme enfin ; le père
Des deux petits blondins qui l’appellent sa mère,
Gars de quatre à cinq ans, barbouillés et fripons,
Qui la suivent toujours, blottis dans ses jupons !

Ah ! certe, elle était belle, et gaie, et pleine d’aise,
Et bonne à regarder, cette brave Gervaise !

J’achevais de dîner, quand la nuit brusquement
Se blanchit d’un éclair livide : un tournoiement
De vent et de grêlons s’abattit sur la plage :
La tempête éclatait sombre, pleine de rage.
Et soulevait les flots d’écume couronnés.
Serré contre sa mère, et les yeux étonnés.
Un des enfans cria : Gervaise devint pâle.
« Allons, lui dis-je, allons ! ce n’est qu’une rafale,
Un coup de vent… D’ailleurs, ils sont au port déjà ! »