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La Russie a aussi obtenu l’ouverture d’une route qui, partant d’une ville frontière de Sibérie, ira aboutir à Hankow, ville chinoise, port important, où les traitans de cette nation ont accaparé tout le négoce. Les marchands russes ont fait là de si belles affaires qu’ils y élèvent en ce moment une église dont le coût est évalué à 250,000 francs. La promesse d’ouvrir un chemin qui permettra de circuler entre la Chine et la Russie est d’une importance capitale pour cette dernière puissance, et c’est pour cela que l’on a tellement insisté à Saint-Pétersbourg pour se l’assurer.

Mais ce n’est pas tout. Indépendamment de la facilité que ce chemin donnera aux Russes pour pénétrer en Chine en temps de guerre, il faudra aussi que cette route leur soit utile en temps de paix. Dans cette intention, les négociateurs du traité ont encore obtenu, assure-t-on, de l’ambassadeur chinois, le droit pour leurs nationaux de circuler dans toutes les provinces de l’Empire-Céleste, d’y faire du négoce, deux privilèges refusés, — qu’on le remarque bien, — jusqu’à ce jour aux Français et aux Anglais.

Ce qu’il y a de fâcheux pour l’Europe occidentale dans cette dernière concession, si elle a été faite, c’est qu’elle porte une grave atteinte au commerce des autres nations. La Russie, avec les facilités qui vont lui être octroyées, aura en quelque sorte le monopole des transactions commerciales qui se font aujourd’hui dans les régions ouest et nord-ouest de la Chine. Le mal sera moins grand pour la France si nous nous décidons enfin à prendre le Tonkin. L’ouverture du Fleuve-Rouge au commerce pourra faire une concurrence avantageuse à la Russie en accaparant le transit des marchandises du Yunnan et de quelques autres riches provinces du sud-ouest. Quoi qu’il en soit, à l’heure actuelle, les Russes sont autrement favorisés par la Chine que ne le sont toutes les puissances qui ont eu des traités avec elle. Des réclamations sont inévitables. On peut être persuadé que l’Angleterre, la plus lésée dans cette affaire, va demander pour ses sujets d’être traitée sur le pied des nations les plus favorisées. La France la suivra sans doute si elle ne la précède pas. Les deux peuples qui ont versé leur sang et dépensé leur or pour enfoncer les portes fermées de la Chine ne peuvent venir après ceux qui n’ont rien fait.

Malgré l’assurance qui nous arrive de tous côtés d’une solution heureuse de la question du Kouldja, la Chine n’en continue pas moins ses armemens, et la Russie n’a point donné à sa flotte l’ordre de rentrer à Cronstadt. C’est qu’en vérité, d’après ce qui précède, on doit comprendre que les Chinois ne soient pas très satisfaits : ils accordent beaucoup et ne reçoivent rien. Aussi avons-nous dit dès le principe qu’un traité signé dans de telles conditions