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avaient couvert le pays de canaux, mais les guerres successives qui ont affligé le pays les leur ont fait négliger, et aujourd’hui ils sont comblés presque partout. Que les Chinois redeviennent maîtres de la contrée, et, avec leur ténacité habituelle, ils les rétabliront. Ils savent mieux que personne que partout où il y a de l’eau, il y a abondance, et que le désert commence là où l’eau finit.

Les diverses rivières dont le Kouldja est arrosé, la splendide végétation qui en est l’heureuse conséquence et qui fait de tout le pays une sorte de parc naturel, sont d’autant plus remarquables que le Kouldja est entouré de steppes désolées, de marais, de déserts dont l’étendue et l’aridité épouvantent, de montagnes dont les pics aux neiges éternelles s’élèvent jusqu’à l’altitude de 6,000 mètres au-dessus du niveau de la mer. C’est, on le comprend, une véritable fête des yeux pour le voyageur, qui, pour atteindre cette région fortunée, a dû passer par les mornes solitudes de la steppe russe ou les horreurs du désert de Gobi. Mais combien il est récompensé de ses fatigues par la vue d’eaux fraîches et courantes, de vallées noires d’ombre, de prairies verdoyantes, où, comme dans nos pâturages de Normandie, les chevaux et les bœufs des Kalmouks nomades foulent aux pieds une herbe haute et épaisse!

Au nombre des voyageurs qui ont eu l’heureux privilège de visiter ces lointaines régions et ont su en tirer de bons livres, il nous faut citer MM. Semenof, Fedchenko, Prejevalski, Kouropatkin, Maief, Aristof, Kaulbars, Severtsof, Musketof ; les botanistes Regel et Tetisof, et, en dehors des Russes, deux correspondans de notre société de géographie, MM. E.-M. Muller et Ch.-E. de Ujfalvy.

Le territoire du Kouldja occupe à lui seul une étendue de 25 milles carrés. Il forme un véritable triangle, dont à l’est la gorge sauvage où l’Ili prend naissance forme la pointe. La base est ouverte ; elle est marquée dans presque toute son étendue par une rivière du nom de Barohoudzir, laquelle indiquait autrefois la séparation des deux empires russe et chinois. Quant aux deux côtés du triangle, ils sont tracés, au sud, par le Thian-chan, et, au nord, par l’Ala-Tagh, l’une des ramifications des montagnes de la Dzungarie.

Comme l’a fait remarquer avec beaucoup de justesse le major F.-C.-H. Clarke, dans la savante étude sur le Kouldja qu’il a communiquée, en août dernier, à la Royal geographical Society de Londres, un simple coup d’œil sur ce triangle fait vivement ressortir combien le Céleste-Empire est intéressé à le garder. Tombant entre les mains d’un autre pouvoir que le sien, ses communications seraient coupées avec ses possessions du Sud, dont Kashgar, comme on sait, est la ville principale, et avec ses possessions du Nord, où se trouvent le beau lac et la passe importante de Sairam.