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pour s’affranchir du joug des Chinois. En Europe, on ignore ce que la répression de cette rébellion fit couler de sang et causa de ruines, quelle désolation et quel silence s’étendirent sur des contrées autrefois pleines de vie et dotées de grandes richesses.

L’on n’a peut-être pas oublié la révolte des cipayes contre les Anglais. L’une des causes du soulèvement vint de l’insurmontable répugnance qu’éprouvaient les Indiens à porter à leurs lèvres des cartouches dans lesquelles il entrait de la graisse de porc. Il semble que la rébellion musulmane, dont nous allons raconter quelques péripéties, n’ait pas eu de causes plus sérieuses, d’origine moins futile. Un musulman du Yunnan ne pouvait voir un Chinois manger du cochon sans que ce musulman couvrît le Chinois d’injures. De là des rixes sanglantes d’abord, puis des massacres en masse, des villes assiégées, et bientôt une immense solitude s’étendant sur des provinces réputées pour être les plus fertiles de l’Asie.

C’est, à n’en point douter, dans ces égorgemens sans merci, observés sous toutes les latitudes et ayant l’intolérance religieuse pour cause, que beaucoup de philanthropes puisent les raisons qui leur font repousser tous les dieux et tous les cultes.

Il faut remonter jusqu’en 1855 pour expliquer l’origine de cette guerre terrible qui eut pour résultat de conduire temporairement les Russes au Kouldja, À cette époque, les mines de galène argentifère, situées à cinq jours de marche de Talifou, dans la province du Yunnan, étaient exploitées par de nombreux ouvriers musulmans et chinois. Les premiers, bien qu’éloignés du pays où dominent leurs croyances, n’en suivaient pas moins avec une scrupuleuse rigueur les préceptes du Coran[1]. De là des différences d’habitude qui les tinrent toujours éloignés de leurs compagnons de travail, c’est-à-dire des Chinois, hommes vils à leurs yeux, puisqu’ils mangeaient du porc, nourriture défendue par le Coran aux mahométans comme elle est défendue aux juifs par la loi de Moïse et comme elle sera défendue un jour en France si les Américains persistent à nous empoisonner. En outre, les musulmans ayant eu la bonne aubaine de tomber sur les meilleurs filons, il s’ensuivit des altercations, des scènes de pugilat qui aboutirent départ et d’autre à l’abandon des mines. Il en résulta une guerre de religion qui devait durer, le croira-t-on, seize ans, guerre s’étendant promptement à toutes les provinces chinoises où il y avait des mahométans.

En 1856, le gouverneur du Yunnan résolut de se défaire d’un seul coup et à la même heure des musulmans qui se trouvaient dans

  1. Voir la Rébellion musulmane au Yunnan, par M. Émile Rocher ; Paris,1880, Ernest Leroux.