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de faire remarquer que nos ports ainsi que nos grandes industries eussent beaucoup perdu si, en raison de cette froideur, la formidable flotte russe qui se trouve en ce moment dans les mers de Chine eût reçu l’ordre de bloquer Canton, Shanghaï et les bouches du Pei-ho. Cet ordre, les amiraux russes s’attendaient à tout instant à le recevoir.

Grâce à la modération de la Russie, fort occupée en ce moment, dans cette même Asie-Centrale, par un ennemi digne d’elle, grâce aussi à la sagesse des ministres chinois, la paix semble devoir résulter des conférences qui ont eu lieu dans ces derniers temps à Saint-Pétersbourg. Il ne manque plus que l’adhésion officielle de la Chine aux dures conditions qui lui sont imposées. S’y conformera-t-elle? On l’assure. Mais sera-ce une paix durable? Il est permis d’en douter. Sans parler d’une indemnité de guerre, la Chine céderait à la Russie une parcelle de son territoire du Kouldja et l’autoriserait à ouvrir une large voie qui, partant de la frontière de Sibérie, irait en traversant toute la Chine aboutir à Hankow. En apparence, c’est peu de chose; mais, comme cette parcelle de territoire et cette voie donneront aux troupes russes la facilité d’entrer au cœur du Céleste-Empire quand bon leur semblera, celui-ci ne perdra jamais l’occasion de montrer son dépit, de faire entendre des plaintes, de formuler des revendications, qui aboutiront peut-être à des conflits sanglans. Bien souvent déjà, la Chine a perdu la Dzungarie, toujours la Dzungarie lui est revenue. Un pays auquel on arrache violemment une province est comme un puissant ormeau émondé à la fin de l’hiver. On le croit mort; mais vienne le printemps, un chaud rayon qui ravive sa sève, et l’arbre mutilé reprend sa place au soleil, plus touffu et plus vigoureux que jamais.


I.

En parcourant une bonne carte d’Asie, — si toutefois l’on est assez habile pour s’en procurer une, — au nord-ouest de ce que les géographes appellent le plateau central d’Asie, on trouve le district de Kouldja. C’est, dans cette direction, la seule passe par laquelle une troupe d’hommes puisse, avec armes et bagages, sortir du plateau et se répandre sur l’Orient et sur l’Occident. Cela s’est vu et pourra peut-être se reproduire dans un siècle, lorsque la Chine, sentant son sol de plus en plus insuffisant pour nourrir sa population, lancera sur le monde des centaines de mille de soldats, non armés cette fois d’arcs, de flèches et de fusils à mèches, comme