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collèges « est à peu près celle que le maître de philosophie se propose d’apprendre au bourgeois gentilhomme. »

Les mœurs et la religion ? Quand la corruption fut-elle plus grande ? Au résumé, après dix ans passés dans un collège, un jeune homme, un bon élève encore, en sort avec la connaissance imparfaite d’une langue morte, avec des principes de rhétorique et de philosophie qu’il doit tâcher d’oublier, souvent le corps et l’âme également flétris par de précoces débauches, quelquefois avec les principes d’une dévotion mal entendue, mais le plus ordinairement avec une connaissance de la religion si superficielle qu’elle succombe à la première conversation ou à la première lecture dangereuse.

La note est dure : chez Helvétius, chez Grimm surtout, elle s’accentue encore. La seule chose qu’on apprenne au collège, au dire du premier, « c’est à faire des vers latins. » Quant à Grimm, il attribue tout le mal au christianisme. Le système d’éducation uniforme que cette révolution a produit a tenu les peuples abrutis pendant une longue suite de siècles, et malgré la renaissance des lettres, cet abrutissement subsiste. Les traces de l’esprit monacal se voient encore partout. C’est ainsi que, dans nos collèges, « nul germe de grandeur, nulle idée de patriotisme et de véritable gloire ne fut jamais inculquée à la jeunesse, » et c’est pourquoi « les héros et les grands hommes de toute espèce nous sont venus du Nord depuis deux siècles[1]. »

  1. Grimm, Ed. Tourneux, t. V, p. 259. Je ne crois pas qu’il existe, dans tout le répertoire du XVIIIe siècle, de plus basse flatterie que cette phrase, à l’adresse de Catherine et de Frédéric. Du reste, tout serait à citer dans cette lettre ; nous en détachons encore ce passage :
    « Au défaut d’un système religieux sensé et capable d’attirer les esprits, il nous reste les grands exemples dont l’empire est si puissant sur les âmes généreuses… En portant nos regards sur cette guerre d’éternelle mémoire que Frédéric vient de terminer par une paix si glorieuse, nous verrons que ce n’est pas seulement à la supériorité de ses talens que ce héros du siècle doit le soutien de sa cause contre les efforts de l’Europe réunie ; c’est surtout à cet enthousiasme que la grandeur de génie et de courage inspire et qu’elle a porté jusque dans le cœur du dernier de ses sujets… C’est un grand et beau spectacle pour l’humanité que de voir ce héros, auquel Plutarque n’aurait pas su trouver un pendant dans toute l’histoire connue, réunissant toutes les sortes de talent et de gloire, réunir encore tous les vœux secrets de son siècle, faire regarder ses malheurs comme des calamités publiques et, ses succès comme des sujets de triomphe et de réjouissance pour toute l’Europe. Quel est en effet le cœur généreux, dans quelque coin de terre qu’il respire, qui n’ait été troublé et vivement agité par six ans de vicissitudes, de cette guerre opiniâtre, et qui ne se soit enorgueilli de la manière dont le héros vient de la terminer ?.. Il faut actuellement qu’il en consacre la mémoire et qu’il rende croyable à la postérité cette suite de prodiges en publiant l’histoire de ses campagnes. Ce serait un ouvrage immortel quand même on y trouverait que le simple récit des opérations militaires. Mais il ne tiendra qu’au philosophe couronné d’en faire le plus beau et le plus grand livre de l’humanité. »