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L’enseignement secondaire était donc, sous l’ancien régime et sans qu’il en coûtât presque rien au trésor, dans un état de prospérité où il n’est parvenu de nos jours qu’au prix de longs efforts et de grands sacrifices. Il avait de plus, à nos yeux du moins, le mérite de n’être pas concentré comme aujourd’hui dans quelques grandes villes. Il était plus également réparti sur toute la surface du territoire. C’est ainsi que des localités d’une importance très secondaire possédaient souvent des établissemens considérables. Au collège de la Flèche, d’après un catalogue envoyé à Rome et conservé dans les archives du Gesu, il n’y avait pas moins de 1,300 élèves en 1625, et le président Rolland en comptait encore 700, en 1763, après l’expulsion des jésuites. À Sorèze, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, il y en avait plus de 500 ; au Mans, 900 ; à Dieppe, de 150 à 200.

On n’a pas pu contester ces chiffres ni faire qu’il en sortît un rapprochement qui, sans être humiliant pour l’état moderne, est assurément fort honorable pour l’ancien. Mais on n’a pas laissé de chercher à en diminuer la portée. L’opinion de Richelieu[1], qui trouvait déjà de son temps le nombre des collèges excessif, celle de Louis XIV[2], qui en eût aussi voulu moins et de meilleurs, celle de Guyton de Morveau, qui allait jusqu’à se demander « si la politique d’un état ne devrait pas leur assigner des bornes et jusqu’à quel point le législateur doit favoriser les moyens de s’instruire dans les sciences et dans les lettres, » et qui proposait carrément de « supprimer tous les établissemens de cours gratuits ; » celle de La Chatolais, qui, non content de dénoncer les frères de la doctrine chrétienne aux proscripteurs des jésuites, « regrettait de voir tant d’étudians dans un royaume où tout le monde s’inquiétait de la dépopulation, » tous ces témoignages et bien d’autres encore qu’il serait trop long de citer ont tour à tour servi d’argument aux adversaires systématiques de l’ancien régime. Ils leur ont emprunté la plupart des traits de la peinture qu’ils ont tracée de l’instruction publique avant 1789, et, pendant longtemps, sur la seule autorité

  1. « La grande quantité des collèges qui sont en notre royaume, disait-il en 1625, fait que les plus pauvres faisant estudier leurs enfans, il se trouve peu de gens qui se mettent au trafic et à la guerre. »
  2. « Le roi fit répondre par Colbert, qu’il avait approuvé la requête de l’université et qu’il aviserait aux moyens de lui rendre son antique splendeur. Il ajouta que l’université devait faire de son côté tous ses efforts pour remplir exactement et fidèlement sa mission, qu’elle avait donné lieu à des plaintes, qu’au témoignage de beaucoup de personnes la manière dont la jeunesse était instruite dans les collèges laissait beaucoup à désirer, que les écoliers y apprenaient tout au plus un peu de latin, mais qu’ils ignoraient la géographie, l’histoire et la plupart des sciences qui servent dans le commun de la vie… » (C. Jourdain.)