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donc cette expérience, faisons-la loyalement, franchement, sans arrière-pensée. Ce que nous nous devons les uns aux autres, c’est d’y travailler de notre mieux;., c’est que ni les uns ni les autres, par l’intrigue, par la violence ou par des entreprises insensibles, ne conduisent cette république à autre chose qu’une république... » C’était une offre d’alliance, de trêve entre les partis. Malheureusement, les passions dans tous les camps étaient plus fortes que la raison. Les républicains, dans le langage de M. Thiers, ne voyaient qu’une tactique, une perfidie de plus déguisant la grande conspiration monarchique. Ils interrompaient violemment l’orateur en lui criant avec ironie qu’il avait fait la loi du 31 mai, qu’il avait violé la constitution, qu’il n’était qu’un royaliste, que la république n’avait pas besoin de lui ! Au fond, ils avaient plus d’amertume et d’irritation contre la majorité parlementaire que contre le président, qu’ils affectaient de dédaigner. Les conservateurs, à leur tour, en se défiant des usurpations napoléoniennes, se défiaient encore plus de la république et des républicains. Ils ne suivaient pas tous M. Thiers dans ses velléités à demi républicaines; ils restaient avec leurs antipathies, leurs illusions, — toujours prêts à applaudir aux répressions, aux excès d’autorité par lesquels le gouvernement les captait encore et les compromettait. En un mot, les partis, obstinément irréconciliables, s’épuisaient dans leurs dissensions, tandis que l’ennemi commun, faisant un pas de plus, achevait de dévoiler ses desseins, sa politique, de deux façons également significatives.

D’un côté, Louis-Napoléon, qui savait bien ce qu’il faisait en éloignant le général Changarnier, avait profité de sa liberté pour réorganiser l’armée de Paris. À cette armée, composée de régimens choisis avec calcul, il avait donné des chefs nouveaux — et le premier de tous les chefs, un ministre de la guerre prêt à tout, le général de Saint-Arnaud, qui venait de conquérir quelque prestige dans une expédition de la Kabylie. Il n’avait rien négligé pour multiplier ses rapports avec l’armée, pour réveiller dans tous les rangs les susceptibilités militaires. Au mois de novembre 1851, six cents officiers étaient conduits par le commandant de Paris à l’Elysée, et le président ne leur cachait pas qu’il ferait bientôt appel à leur dévoûment. Il leur disait qu’il comptait que ce dévoûment ne lui faillirait pas, — « parce, que vous le savez, ajoutait-il, je ne vous demanderai rien qui ne soit d’accord avec mon droit, avec l’honneur militaire, avec les intérêts de la patrie, parce que j’ai mis à votre tête des hommes qui ont toute ma confiance et qui méritent la vôtre; parce que, si le jour du danger arrivait, je ne ferais pas comme les gouvernemens qui m’ont précédé, je ne vous dirais pas: Marchez, je vous suis! mais je vous dirais ; Je marche, suivez-moi... » C’était