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M. Thiers et de ses amis, qui proposaient le système modérateur des deux chambres, — et en plaçant une assemblée unique en face d’un pouvoir exécutif puissamment armé, ils avaient préparé d’inévitables conflits, ils laissaient la révolution ouverte, comme le leur disait M. Barrot. Ils avaient voulu un président responsable devant le pays, directement élu par le peuple, — et en donnant au président l’élection populaire, la responsabilité, ils avaient créé un pouvoir rival de l’assemblée, indépendant, redoutable par l’unité du commandement et de l’action. Ils étaient les dupes de leurs théories et de leurs passions. Les républicains de 1848, après avoir frayé la voie au gouvernement personnel, à un consulat napoléonien par leurs combinaisons constitutionnelles, avaient le malheur de manquer de tout esprit politique. Ralliés un moment par nécessité sous le général Cavaignac, vaincus et irrités de leur défaite au 10 décembre, ils redevenaient ce qu’ils étaient, une minorité incohérente et conspiratrice, un parti de sédition et de déclamation, où les modérés, les politiques s’effaçaient, où les violens, jacobins et socialistes, dominaient. Ces étranges républicains se croyaient bien habiles avec leurs perpétuelles menaces de mise en accusation contre le président et son gouvernement, avec leurs essais d’insurrection comme au 13 juin 1849, avec leurs turbulences et leurs jactances de parlement, avec leurs revanches de scrutin par les élections révolutionnaires et socialistes de Paris; ils se figuraient sauver ainsi la république et ils ne voyaient pas qu’ils la ruinaient, qu’ils ne faisaient que fortifier le président, qu’ils donnaient d’incessans prétextes à toutes les répressions et à toutes les réactions. « J’espère, leur disait un jour, dans un mouvement de raison révoltée, l’homme qu’ils auraient dû le plus écouter, le général Cavaignac, — j’espère pour le bonheur du pays que la république n’est pas destinée à périr; mais si nous étions condamnés à une pareille douleur, rappelez-vous bien que nous en accuserions vos exagérations et vos fureurs. » Ces « fureurs » et ces « exagérations, » en effet, ne pouvaient que servir Louis-Napoléon en poussant vers lui les intérêts troublés, l’opinion effrayée par la perspective de nouvelles explosions révolutionnaires à la fin des pouvoirs présidentiels, à la date de 1852.

Les conservateurs, de leur côté, ne faisaient pas moins les affaires du président d’une autre manière et dans un sens opposé. Les monarchistes de toute nuance rapprochés et confondus dans la guerre de défense sociale qu’ils avaient entreprise, qu’ils soutenaient chaque jour, n’avaient point assurément l’intention de refaire l’empire ; ils n’avaient d’autre pensée que de rétablir l’ordre avec le nom de Napoléon pour complice, d’épargner au pays, s’ils le