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grande nation, je ne saurais me glorifier d’une captivité qui avait pour cause l’attaque contre un gouvernement régulier. Quand on a vu combien les révolutions les plus justes entraînent de maux après elles, on comprend à peine l’audace d’avoir voulu assumer sur soi la terrible responsabilité d’un changement. Je ne me plains donc pas d’avoir expié ici ma témérité contre les lois de ma patrie, et c’est avec bonheur que, dans ces lieux mêmes où j’ai souffert, je vous propose un toast en l’honneur des hommes qui sont déterminés malgré leurs convictions à respecter les institutions de leur pays. » C’était un langage qui séduisait, que M. Dufaure, devenu pour un moment ministre de l’intérieur de la nouvelle présidence, se plaisait à citer comme un exemple et comme un engagement.

A mesure cependant qu’on sortait des premières épreuves, ce prince repentant et modeste, montrait par degrés l’impatience du règne. Il laissait percer le naturel césarien, tantôt dans une affectation de costume militaire, tantôt dans quelque lettre où il s’essayait à parler en maître, où il ne cachait pas ses prétentions de gouvernement personnel. Il écrivait au chef du cabinet, à M. Odilon Barrot : « Il faut choisir des hommes dévoués à ma personne, depuis les préfets jusqu’aux commissaires de police... Il faut réveiller partout non le souvenir de l’empire, mais de l’empereur! » Louis-Napoléon avait bien voulu accepter à son entrée au pouvoir un ministère composé de M. Barrot, de M. de Falloux, de M. de Tocqueville; il voulait bien appeler en conseil M. Thiers, M. Molé; il n’entendait pas subir une tutelle. Il souffrait dans son orgueil de paraître éclipsé ou protégé par des hommes d’une importance gênante, et le jour où il se croyait en mesure de secouer cette espèce de patronage, il n’hésitait plus. Son premier acte décisif d’émancipation était le message du 31 octobre 1849, le congé donné au ministère de M. Barrot et l’appel au pouvoir de quelques hommes toujours choisis dans la majorité conservatrice, mais encore assez obscurs pour être obéissans. Il appelait cela « faire sentir la main de l’élu du 10 décembre, » — tout comme Napoléon parlait autrefois de faire « sentir le bras de l’empereur! » C’était le premier pas, ce n’était pas le dernier, et dans ce travail d’usurpation qui commençait pour ne plus s’interrompre, le président, il faut le dire, avait la chance d’être singulièrement favorisé par tous les partis, républicains et monarchistes, adversaires et alliés d’un moment, qui se croyaient bien habiles, lorsqu’ils ne faisaient que servir la cause napoléonienne par leurs passions comme par leurs erreurs de conduite.

Les républicains, même ceux qui passaient pour modérés, ne voyaient point assurément la portée de ce qu’ils avaient fait avec leur constitution. Ils avaient refusé de suivre les conseils de