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l’appui qu’ils avaient donné au dernier moment à la candidature napoléonienne. Il faut tout dire cependant : les politiques n’avaient rien décidé, rien dirigé, ils avaient suivi un courant devenu irrésistible, et eussent-ils essayé de lutter, ils n’auraient rien empêché. Les masses seules avaient fait l’élection par un mouvement tout d’instinct d’autant plus significatif que celui-là même qu’elles choisissaient n’avait aucun titre personnel. Il n’était connu que pour les équipées de Strasbourg et de Boulogne, pour une vie hasardeuse de prétendant déclassé, pour une captivité sans gloire et pour quelques rêveries à demi socialistes. Les masses, dans ce prince dont elles ne savaient rien, acclamaient le nom qui seul parlait à leur imagination. Et, qu’on le remarque bien, ce n’était pas visiblement à un simple candidat comme tous les autres candidats, c’était bien à l’héritier de l’empire qu’elles donnaient six millions de suffrages, de sorte que du coup cette manifestation dépassait la portée d’un vote strictement constitutionnel. Légalement, pour les partis, Louis-Napoléon n’était qu’un président de la république; par la logique de toute une situation, par l’instinct des électeurs comme par les ambitions de l’élu, le scrutin tendait à l’empire. Ce qu’il y avait d’évident, c’est qu’il venait de se produire un pouvoir nouveau, subordonné et précaire par la légalité qui l’enveloppait, conspirant pour le règne par le nom, par la naissance et par l’acclamation populaire. Le reste était l’affaire des circonstances et aussi du caractère de celui qu’un vote spontané venait de tirer de l’obscurité de l’exil pour le porter au sommet du gouvernement de la France.

Ce n’est point évidemment en un jour qu’avait pu se dégager tout ce qu’il y avait dans cette situation. Aux premiers momens, le président avait tout intérêt à ne rien précipiter, à s’établir dans le gouvernement, à rester d’accord avec ses alliés des partis conservateurs, sinon absolument contre la république, au moins contre les républicains, contre l’ennemi commun, la révolution. Fataliste d’instinct, dissimulant la fixité de ses idées et la hardiesse de ses ambitions sous une apparence de réserve et de modestie, il attendait, toujours prêt à accepter la lutte, d’intelligence avec ses ministres, contre les factions encore frémissantes, — mais sachant se plier aux conditions difficiles du temps. Il sentait que la première nécessité pour lui était de prendre position, de rallier les forces sociales, surtout l’armée, de gagner la confiance, — et cette politique, qui n’était pas sans habileté, il semblait la résumer avec une franchise mêlée de bonne grâce dans un voyage qu’il avait l’occasion de faire à Ham, où il avait été prisonnier. « Si je suis venu à Ham, disait-il, ce n’est pas par orgueil, c’est par reconnaissance. Aujourd’hui qu’élu de la France, je suis devenu le chef légitime de cette