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Ce que M. Thiers poursuivait en politique sensé, c’était un grand concordat entre les influences religieuses et les influences laïques dans l’enseignement, un concordat qu’il relevait de tout l’éclat d’une séduisante parole lorsqu’il disait en représentant l’église et l’université comme la religion et la philosophie en présence :


On dit que la guerre continuera... Moi, je vous fais connaître ici tout le secret de mes sentimens. Je crois, j’espère qu’on peut faire vivre ensemble la religion et la philosophie. J’ouvre l’histoire du monde et je vois ces deux grandes puissances, la religion et la philosophie, se combattre souvent, puis faire la paix après avoir combattu. Je les vois se combattre lorsqu’une grande question s’élève qui remue à la fois le cœur et l’esprit humain; mais je vois qu’après ces luttes, elles y ont en général plutôt gagné que perdu. La religion, cette puissance auguste, permettez-moi de le dire, y a gagné un peu de savoir humain; la philosophie y a gagné le respect des choses sacrées. Elles se sont rapprochées, et je n’ai jamais vu, en prenant non pas l’histoire factice faite par les partis, mais l’histoire vraie, je n’ai jamais vu que l’une ou l’autre eût succombé, fût morte. Ce sont deux sœurs immortelles qui ne peuvent pas périr ! La religion et la philosophie sont nées le même jour, le jour où Dieu a mis la religion dans le cœur de l’homme et la philosophie dans son esprit. Il faut qu’elles vivent ensemble, l’une à côté de l’autre, qu’elles ne se séparent pas et que dans les temps d’épreuves elles cherchent à se rapprocher plutôt qu’à se détruire. C’est mon vœu ; je crois qu’il est réalisé dans la loi.


Si c’était une réaction, comme on le disait, comme l’ont dit surtout depuis de fortes têtes qui ont imaginé de découvrir la « défaillance » d’un grand esprit effrayé dans le concours prêté par M. Thiers à la loi de l’enseignement, cette réaction naissait d’une nécessité de défense créée par une vaste anarchie morale; elle avait de plus cela d’original et de frappant qu’elle se produisait sous la forme d’une liberté consacrée par la constitution, d’une liberté qui pouvait profiter au clergé sans doute, qui était aussi la liberté pour tout le monde. Libre à ceux qui n’admettent de droits que pour eux et pour leurs idées ou pour leurs préjugés de croire que reconnaître la liberté des autres, c’est une « défaillance, » et que la supprimer quand on le peut, c’est un acte de haute politique et de progrès !

La seconde bataille décisive où l’esprit de résistance concentrait son effort, où M. Thiers avait encore ce genre de « défaillance » qui le portait au premier rang des combattans, c’est sur la question même du suffrage universel qu’elle se livrait à peu de jours d’intervalle. Des élections partielles venaient de se faire dans quelques