Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/845

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je suis tout comme j’étais; mais je ne porte ma haine et ma chaleur de résistance que là où est aujourd’hui l’ennemi. Cet ennemi, c’est la démagogie... » Ce qu’il avait écrit au mois de mai 1848, il l’avait rappelé au mois de décembre à M. de Falloux prêt à prendre le ministère de l’instruction publique au début de la présidence napoléonienne, et il le confirmait bientôt en disant dans l’assemblée « avec une audacieuse franchise » pour parler comme lui : « Oui, c’est vrai, je n’ai plus à l’égard du clergé les jalousies et les ombrages que j’avais il y a dix ans… Je le dis très franchement, les partisans de l’église, les partisans de l’état, savez-vous ce qu’ils sont aujourd’hui pour moi? Ils sont les défenseurs de la société, de la société que je crois en péril, et je leur ai tendu la main. J’ai tendu la main à M. de Montalembert, je la lui tends encore... » De là la possibilité de cette loi de la liberté d’enseignement, promise après tout par la constitution, conclue dans une pensée de transaction entre l’université et l’église, préparée par M de Falloux, élaborée dans une commission où M. Cousin se rencontrait avec M. Dupanloup et soutenue dans le parlement par les deux hommes les mieux faits pour être les orateurs, les plénipotentiaires des deux parties en présence, — M. Thiers et M. de Montalembert.

Ce qu’il y a de curieux, c’est que ni M. de Montalembert ni M Thiers n’échappaient aux récriminations amères des partis opposés. M. de Montalembert était accusé par les catholiques à outrance de sacrifier l’indépendance de l’église, de s’allier à l’ennemi par un compromis équivoque, d’être « dupe ou traître. » M. Thiers était accusé par les républicains et les ultra-universitaires d’oublier tout ce qu’il avait dit contre les congrégations, de passer aux jésuites, de livrer l’enseignement laïque. — Ils ne trahissaient ni l’un ni l’autre leurs opinions; ils défendaient simplement d’un commun effort une cause qu’ils mettaient au-dessus de tout, l’intérêt de la « société en péril, » comme ils disaient. Cette cause, M. de Montalembert la détendait avec son ardeur sincère, sa foi passionnée, son impétuosité altière et provocante M. Thiers la défendait avec son habileté et son art supérieur, s étudiant a faire la part de tous les droits dans l’œuvre nouvelle, couvrant contre les exagérations de la droite l’état, l’université, — et, aux républicains qui, après avoir décrété toutes les libertés, ne voulaient plus en accepter les conséquences, répliquant vivement : « Il vous est bien commode de vous donner l’honneur de toutes les libertés et de nous laisser, à nous, l’odieux du contraire... Vous proclamez la liberté d’enseignement: elle est applicable au clergé comme à d’autres, et quand le clergé profite des avantages de cette liberté, vous nous dites que nous livrons la jeunesse au parti clérical!.. »