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II.

Il faut bien se fixer sur les idées, les mobiles, les impressions de M. Thiers dans cette campagne où il voyait une question d’existence non plus désormais pour la monarchie qui avait disparu, mais pour l’ordre social tout entier, pour l’ordre libéral et parlementaire.

La république, il ne l’avait certes ni voulue ni appelée, et il ne s’en cachait pas. — « Nous ne sommes pas les pères de l’enfant, » disait-il un jour dans une spirituelle repartie. Il ne l’avait pas appelée, — il ne la contestait pas non plus, du moment qu’elle avait reçu la sanction d’un vote de la France. A son entrée dans l’assemblée constituante, il avait tenu à s’expliquer et il avait dit : « Mes amis et moi, nous n’avons pas désiré, nous n’avons pas fait la république, mais nous l’acceptons loyalement. Pour tout homme de bon sens, le gouvernement légal du pays est toujours digne de ses respects... La forme avec laquelle nous cherchions à faire le bien est brisée; ce bien, nous persisterons à le poursuivre sous la forme actuelle comme sous la précédente. Nous avons, dans tous les temps, désiré la liberté, non pas celle des factions, mais celle qui consiste à placer les affaires publiques à l’abri de la double influence et des cours et des rues. Nous avons désiré la bonne administration des finances, la grandeur du pays, une politique nationale. Nous poursuivrons tout cela dans l’avenir comme dans le passé... » Avant peu, à un moment où il sentait plus que jamais la nécessité de l’alliance de toutes les forces conservatrices, il devait aller plus loin et il ne craignait pas d’ajouter : « Soyez convaincu que je ne suis pas, quoique je ne l’aie pas voulue et faite, un ennemi de la république aujourd’hui. Elle a un titre à mes yeux, elle est de tous les gouvernemens celui qui nous divise le moins... Je ne veux pas me faire à vos yeux meilleur que je ne le suis; je ne veux pas vous dire qu’une institution qui n’avait pas, il y a quelques années, ma confiance, l’ait acquise. Je vous dis seulement, en bon citoyen, qu’à mes yeux ce gouvernement nous divise moins qu’un autre. Il est, de plus, le gouvernement légal... » C’est la position prise par M. Thiers. Sans affecter une confiance qu’il n’éprouvait pas, sans se donner pour un converti, il ne combattait donc pas précisément la république constituée, organisée, si elle pouvait devenir un régime régulier.

Ce qu’il combattait sans pitié, sans merci, c’était la république des sectaires et des conspirateurs, la république révolutionnaire préparant la guerre civile par les passions qu’elle fomentait, menaçant la paix universelle par les complicités qu’elle acceptait dans