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les électeurs du général, après s’être convaincus de l’impossibilité de son succès, se rejetteraient sur leur candidat préférablement à M. Blaine et à M. Sherman : c’était ainsi que M. Hayes avait été choisi en 1876. Les scrutins se succédèrent donc sans interruption pendant cinq jours consécutifs, mais sans changement notable dans la répartition des suffrages, jusqu’au vingt-neuvième scrutin, où les voix du Massachusetts se détachèrent de M. Edmunds pour se porter sur M. Sherman. Les 305 partisans du général Grant continuèrent à voter pour lui avec une inébranlable fidélité. Il arrive toujours en pareil cas qu’on fait surgir quelque candidature imprévue dans l’espoir de détacher des voix hésitantes qui ne retournent plus à leur premier choix. Au trente-quatrième scrutin, la délégation de l’ Illinois, jusque-là partagée entre M. Washburne et M. Blaine, vota tout entière pour le chef de la délégation de l’Ohio, le général Garfield, qui était à la tête des partisans de M. Sherman et avait les pouvoirs de celui-ci. Au scrutin suivant, la délégation de l’Indiana suivit l’exemple de celle de l’Illinois : M. Garfield, qui ne voulait pas être soupçonné d’une trahison envers un ami, prit aussitôt la parole pour déclarer qu’il n’était et ne voulait pas être candidat, et qu’il était inutile de voter pour lui. À ce scrutin, le général Grant obtint 315 voix. Il était évident que les amis de M. Blaine et de M. Washburne commençaient à lâcher pied : quelques défections nouvelles pouvaient donner la majorité au général. Aussi M. Sherman, sacrifiant ses prétentions, télégraphia à ses amis de voter pour M. Garfield. Les autres candidats en firent autant, et au trente-sixième scrutin, M. Garfield fut choisi par 399 voix contre 306 demeurées fidèles au général Grant et quelques voix perdues. On donna aux partisans du général Grant cette consolation de prendre dans leurs rangs le candidat pour la vice-présidence. Ce fut un des délégués de New-York, M. Arthur, dont le choix fut surtout dicté par l’espérance d’influer sur le vote du plus puissant état de la confédération.

C’est ainsi que M. Garfield, auquel personne ne songeait quarante-huit heures auparavant, devint presque malgré lui le candidat du parti républicain. Agé aujourd’hui de quarante-neuf ans, M. Garfield est, comme tant d’autres notabilités américaines, le fils de ses œuvres. Il est né dans la pauvreté et il a commencé par vivre du travail de ses mains. Tout en gagnant sa vie, il consacrait ses heures de loisir à s’instruire; à dix-neuf ans, il avait amassé un petit pécule qui lui permit, en vivant avec une rigide économie, de suivre des cours de droit; il prit ses degrés et se fit homme de loi : c’est la carrière qui mène à tout aux États-Unis. Il s’était acquis une certaine réputation dans cette profession lorsque la guerre de