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réalisée plus tard, dans de bien autres extrémités. Il avait proposé au roi de retirer les troupes d’un combat de rues mal engagé et de se replier sur Saint-Cloud avec l’armée ralliée sous le maréchal Bugeaud. Il se flattait d’avoir là avant peu soixante mille hommes et de pouvoir reprendre Paris avec le concours de la garde nationale elle-même effrayée par quelques jours d’anarchie. Pour jouer une si terrible partie, il aurait fallu une confiance, une résolution qu’on n’avait plus. Il était trop tard ou trop tôt!

Une fois la royauté frappée à mort, M. Thiers était rentré chez lui avec l’amertume du désastre accompli, avec le pressentiment des dangers qui allaient naître d’une révolution nouvelle. Il se sentait assurément vaincu de toute façon, vaincu dans ses idées, dans ses opinions constitutionnelles, dans ses attachemens politiques et dynastiques; mais en même temps, la première émotion passée, d’accord avec ses amis, il se disait qu’on ne devait ni conspirer, ni avoir l’air d’émigrer à l’intérieur, ni même créer des embarras à ce gouvernement provisoire qui venait de surgir, pour lequel il n’avait aucune sympathie, qui était cependant pour l’instant tout ce qui restait d’un ordre régulier. Sans renoncer à un rôle public que les circonstances devaient nécessairement lui rendre un jour ou l’autre, il ne montrait aucun empressement à sortir de sa retraite momentanée. Aux élections de l’assemblée constituante, s’il ne déclinait pas la candidature qu’on lui offrait dans les Bouches-du-Rhône, il ne la recherchait pas. Il ne cachait pas à ses amis de Provence qu’il n’avait « ni voulu, ni désiré la république, » que s’il l’acceptait sans arrière-pensée, il n’entendait désavouer aucune partie de sa vie. Chose à remarquer, M. Thiers était peut-être l’homme que tenaient le plus à exclure dans les premières élections les républicains du ministère de l’intérieur, M. Ledru-Rollin, M. Jules Favre, et, par une coïncidence curieuse, c’était un jeune homme encore inconnu, commissaire de la république à Marseille, M. Emile Ollivier, qui mettait tout son zèle à servir les passions exclusives des grands électeurs du ministère de l’intérieur. On y dépensa quelque argent des fonds secrets ! M. Thiers n’était pas élu, en effet, à Marseille; il ne l’était qu’un mois après dans les élections partielles, et cette fois avec éclat, dans cinq départemens. Il était élu à Paris avec le prince Louis Bonaparte et le général Changarnier. — M. Berryer, M. Odilon Barrot, M. de Falloux, M. de Montalembert, avaient déjà été nommés ; M. Molé allait avoir son tour. Le premier résultat de ces quelques mois d’agitation et l’expérience du suffrage universel était de ramener l’un après l’autre sur la scène les hommes de toutes les monarchies, envoyés spontanément et sans distinction par la France au secours de la société en détresse.