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mois ; ils ne savent que préparer et voter une constitution qui, au lieu d’organiser la république, perpétue la révolution en mettant en présence une assemblée unique, permanente, souveraine, et un pouvoir exécutif redoutable par son origine populaire, par la toute-puissance de l’élection directe. Pendant ce temps, l’instinct public, profondément troublé, a déjà pris un autre cours. Le nom de Napoléon a surgi comme une menace. Le prince qui se présentait encore assez obscurément au 27 février est bientôt élu représentant dans quatre départemens, puis après une démission, dans cinq départemens, — à Paris même! Ce qu’on tente pour l’évincer le désigne et ne tarde pas à faire de lui un candidat à la présidence. Cette expérience de moins d’une année, toute pleine de luttes civiles, de déchiremens, d’anxiétés sociales a produit ses fruits, et c’est ainsi que la France, interrogée pour la présidence, répond par cette élection napoléonienne du 10 décembre, surmontant la république d’un nom qui en est pour ainsi dire la négation. Quelques mois encore le mouvement se complète par l’élection d’une assemblée législative composée en majorité de conservateurs et de libéraux de toutes les monarchies, pour le moment confondus dans un même parti, — le parti de l’ordre !

Ici tout change. C’est la phase de réaction définitive qui s’ouvre, qui s’accentue et se coordonne pour se dérouler trois années durant, à travers toutes les péripéties. C’est le retour déclaré à une autre situation, à d’autres hommes. Les républicains, après avoir essayé de troubler les derniers jours de l’assemblée constituante, ne sont plus qu’une minorité dans la nouvelle assemblée législative, et, particularité curieuse, dans cette minorité républicaine, les modérés, les politiques connue le général Cavaignac et ses amis, sont désormais moins nombreux que les violens, les agitateurs, les socialistes qui compromettent la république en croyant la défendre. Entre le nouveau président et la majorité de réaction, qui est représentée au pouvoir par le premier ministère de M. Odilon Barrot, de M. de Falloux, qui a ses chefs, ses guides dans le parlement avec M. Molé, M. Thiers, M. Berryer, M. de Broglie, M. de Montalembert, qui a son représentant militaire dans le général Changarnier, l’intelligence semble d’abord intime et complète. Ils sont d’accord tant qu’il s’agit de tenir tête à la sédition comme au 13 juin 1849, de reconstituer les forces de répression, de multiplier les garanties sociales à l’intérieur et de préserver la France des aventures révolutionnaires à l’intérieur, d’envoyer une armée à Kome pour rétablir le pape Pie IX, dépossédé par une république de hasard. Cet accord des pouvoirs et des grandes influences parlementaires, mis sous la garde d’un ministère qui réunit un moment M. Barrot et M. de Falloux, M. Dufaure et M. de Tocqueville,