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nues : les races diverses des bêtes sauvages sont frappées de stupeur, les vents se taisent et la sérénité de l’air éteint le mouvement des flots. Tout l’Olympe résonne ; les dieux sont ravis en extase ; en réponse éclate le chant mélodieux des Grâces et des Muses olympiennes. »

Voilà quel mouvement d’imagination provoque dans cette poésie railleuse d’Aristophane le sentiment des effets musicaux.

Les Grecs reconnaissaient aussi à la danse une grande force d’expression morale. « Quand la danse est telle qu’elle doit être, dit Lucien, elle est utile à ceux qui la voient ; elle est propre à cultiver l’esprit et à l’instruire ; elle règle les âmes des spectateurs, qui sont formés par ce qu’ils voient comme par ce qu’ils entendent ; elle offre une sorte de beauté qui participe également de l’âme et du corps. » Tel était sur les Grecs l’effet du rythme de la danse, des attitudes et des évolutions des danseurs ; telles étaient les impressions d’élégance plastique, de noblesse et de sérénité morale qui se dégageaient de l’exécution ou, pour mieux dire, de la représentation des odes de Pindare. Chacune avait son caractère particulier, que le grand lyrique obtenait par les ressources combinées de cette composition complexe où il était à la fois poète, musicien et chorégraphe. Il va de soi que des trois élémens mis en œuvre la poésie était de beaucoup le principal. La mélodie admettait parfois la combinaison des lyres, des flûtes et de la voix humaine ; la danse se composait des pas et des évolutions du chœur ; cependant toutes deux étaient simples, et ne fournissaient qu’un complément d’expression à la poésie, interprète directe de la pensée.


IV.

Il y a dans Pindare une partie que nous possédons tout entière et où les interprètes modernes sont moins arrêtés par les difficultés techniques, c’est l’élocution. Ce n’est pas qu’il nous soit toujours facile de l’apprécier. Ici encore les goûts et les habitudes des Grecs diffèrent singulièrement des nôtres. Quand, par exemple, cette idée que la Muse vient solliciter le poète est exprimée sous cette forme : « Je crois sentir sur ma langue une pierre à aiguiser mélodieuse, dont je reçois volontiers les souffles au beau courant ; » l’arrivée de l’inspiration avec ce cortège de métaphores incohérentes ne laisse pas que de nous surprendre. S’il n’est pas certain que les Grecs eux-mêmes trouvassent là matière à louer, du moins sommes-nous sûrs qu’ils n’étaient pas choqués comme nous ; ce qui nous avertit que l’élocution de Pindare se règle d’après des conditions particulières dont nous avons besoin de nous rendre compte. Il se peut que notre goût reste toujours médiocrement séduit par cer-