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PINDARE.

réunion des membres produit les vers lyriques, qui se groupent eux-mêmes en périodes ; les périodes composent la strophe, et les strophes se succèdent, plus ou moins nombreuses, suivant la longueur de l’ode, reproduisant avec fidélité comme les figures d’un même dessin. De là l’impression de la variété se conciliant avec l’unité et la symétrie. Ce double effet de symétrie et de variété est encore accru par une disposition presque constante qui distribue régulièrement les odes de quelque étendue en triades, formées chacune de deux strophes et d’une épode. Tel est l’organisme complexe et régulier dans lequel circule la pensée du poète, laquelle en anime toutes les parties, répartissant inégalement la force, mais présente sur tous les points. Elle s’y manifeste par une sorte de rayonnement plutôt que par un développement progressif. Sur l’ensemble impriment un même caractère le rythme poétique et le rythme lyrique, le plus souvent confondus, et la mélodie, en étroit rapport avec eux. Le mouvement plus ou moins rapide du rythme, qui réglait le chant, la musique et la danse, et la tonalité de la mélodie, qui constituait des modes ou harmonies d’une nature très distincte, produisaient des effets expressifs d’une telle puissance, qu’ils ont été de la part des moralistes l’objet de la plus sérieuse attention.

On connaît les pages si pénétrées de l’esprit antique qu’ont écrites sur ce sujet Platon et Aristote ; on sait quelle influence ils attribuent au choix des harmonies et des rythmes sur l’éducation des enfans et sur le caractère des citoyens. Le premier va jusqu’à répéter et prendre à son compte l’opinion d’un musicien nommé Damon, qui affirmait que nulle part on ne pouvait changer les modes musicaux sans que ce changement affectât les lois essentielles de la cité. Naturellement, personne plus que les poètes n’a rendu hommage à la musique. Parmi eux, c’est Pindare lui-même qu’il faudrait citer le premier. C’est lui qui, au début de la première Pythique, revêt de tout l’éclat de la muse païenne cette idée, qui semble un écho poétique des doctrines de Pythagore, que les divins concerts d’Apollon et des Piérides répandent dans l’Olympe un calme souverain, tandis que leur pénétrante mélodie va jusqu’au fond du Tartare redoubler les tortures des monstres ennemis de l’ordre établi par Jupiter. Je ne sais pourtant si nous n’avons pas un témoignage encore plus significatif, celui d’Aristophane, qui reprend la même pensée dans la pièce où sa fantaisie attribue aux oiseaux la supériorité sur les dieux. Pour lui, les chants des cygnes à demi fabuleux de la Thrace sont la source suprême de cette harmonie dont le charme subjugue et domine tout l’univers :

« Des rives de l’Hèbre leur voix puissante monte à travers les

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