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rente des idées, mais d’agir sur les imaginations et sur les âmes, de telle sorte qu’au moment où s’éteignaient les derniers sons de la voix et de la lyre, elles se trouvassent, sans en avoir conscience, dominées par les sentimens et les pensées qu’il avait conçus d’avance sous l’inspiration savante de la muse. Après tout, Boileau avait peut-être une vague idée des conditions particulières de la poésie lyrique en Grèce quand il écrivait sur Pindare la phrase obscure que nous citions en commençant : « C’est un génie qui, pour mieux entrer dans la raison, sort de la raison même. » Il ne se trompait pas, s’il voulait dire que Pindare ne s’affranchit de certaines convenances, que nous comprenons, que pour mieux satisfaire à des convenances supérieures, dont nos mœurs sociales et littéraires ne nous permettent pas la complète intelligence.

Dans la composition d’une ode de Pindare entraient deux élémens qui contribuaient à l’unité et la rendaient plus sensible, c’étaient la musique et la danse. Des deux parties de la musique, le rythme et la mélodie, il ne nous reste que la moitié de la première, c’est-à-dire le rythme poétique, qui se confond avec cet emploi de la langue qui constitue le vers. On peut dire que le rythme a sa place dans tous les arts et que son importance y est capitale, parce qu’il tient étroitement au sentiment de l’harmonie dont ils sont nés. Dans la statuaire, c’est de lui que relèvent les lois d’équilibre et d’élégance auxquelles elle est soumise. L’architecture l’observe par la symétrie et la proportion ; chacun des ordres grecs est comme un rythme particulier, dont la valeur expressive, gravité sereine ou grâce délicate, est sensible pour tous, aussitôt qu’on prononce les noms de dorique et d’ionique. Mais le rythme appartient en propre à la poésie, à la musique et à la danse, et c’est là naturellement qu’il a toute sa force d’expression. Chez les Grecs, dont les émotions esthétiques étaient beaucoup plus vives que les nôtres, cette force d’expression dépassait pour nous toute vraisemblance. Pour la poésie, ce n’est pas à Pindare qu’il en faut demander les exemples les plus frappans. Ce n’étaient pas les odes triomphales, c’étaient les genres passionnés, comme le dithyrambe, qui, par des changemens de rythme, marquaient les troubles et les secousses de l’âme. La sérénité de Pindare n’admet pas ces variations ; mais on se tromperait fort, si de là on concluait chez lui à l’uniformité et à la pauvreté du rythme. Chacune de ses pièces a le sien, dont la souplesse suit le développement de l’idée poétique.

Ce n’est pas ici le lieu d’aborder les difficultés techniques où se consument encore les efforts des érudits. Disons seulement que les strophes de Pindare forment le plus souvent comme un grand édifice, savant et compliqué. L’élément premier est le membre ; la