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est surtout préoccupé de la vie du vainqueur ; dans telle autre il se propose en général de le consoler ou de l’avertir ; mais il n’adopte pas uniformément un même point de vue ; malgré le fond persistant qui constitue sa personne morale et fait sa puissante originalité, il est varié comme la vie et comme la pensée ; au milieu de tous ces liens qu’il accepte volontairement, il use souverainement de sa liberté de poète ; et si la mythologie est pour lui une langue qui lui permet de tout dire, il ne la dépouille pas cependant de ses qualités propres pour ne lui attribuer qu’une valeur symbolique.

Toutefois, quels que soient les excès auxquels se sont laissé entraîner Dissen et Bœckh, leurs systèmes sont nés d’une idée juste, dont la découverte fait honneur à leur sagacité, c’est que l’unité des odes de Pindare, ces œuvres composées avec tant de science, est ailleurs que dans la suite apparente des idées exprimées ; c’est qu’elle réside dans quelque chose qui les domine. Quel est ce quelque chose, c’est ce qu’a mieux vu G. Hermann, le plus pénétrant peut-être des grands hellénistes de ce siècle, et dont cependant, nous le remarquions, les interprétations de détail n’échappent pas à la critique, tant ces matières sont difficiles ! Ce principe d’unité, qui n’est ni une formule morale s’adaptant à toutes les pièces, ni un type d’allégorie historique, il l’appelle une idée poétique. L’expression peut paraître vague ; d’autant plus qu’il ne définit guère lui-même sa pensée ; mais elle indique le vrai point de vue. Il considère chacune des odes comme une véritable œuvre d’art, ayant sa vie propre et sa physionomie à elle. Sur cette question délicate, il faut lire d’excellentes pages de M. Croiset, qui, en complétant Hermann, la traite avec le degré de précision qu’elle comporte et avec un sens très fin du génie grec. Au terme d’idée poétique il substitue celui d’idée lyrique, qui est plus juste ; il y a en effet des idées lyriques comme il y a des idées oratoires, des idées épiques, des idées dramatiques, et chaque genre d’idée produit une sorte d’unité particulière. Pour l’éloquence, pour l’épopée, pour le drame, l’unité se définit facilement ; mais dans le lyrisme, où il n’y a ni une suite de déductions ni le développement d’une action régulière, il n’est pas aisé de la saisir. C’est une harmonie dont les élémens, idée abstraite, image sensible, émotion personnelle, viennent se fondre dans une teinte générale. Tantôt, c’est une idée morale qui domine, et alors la composition, sans s’astreindre à un enchaînement de déductions, se soumet aux lois d’une logique secrète que le raisonnement peut découvrir. Tantôt, tout se résume en une impression nette et profonde, mais qui échappe en grande partie à l’analyse. Toujours, quelle que soit la pensée première du poète, il parle un langage qui diffère beaucoup de celui de la prose et se refuse aux mêmes pro-