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parfois leur intrépidité logique et leur imagination. Dans la seconde Pythique est assez longuement développé le mythe d’Ixion, auteur du premier meurtre et amant téméraire de Junon, un des grands criminels punis par les supplices infernaux. À qui cet exemple s’applique-t-il ? À Hiéron, répond Bœckh ; à Hiéron, qui a perfidement exposé un frère, Polyzélos, aux périls d’un combat contre les Crotoniates, et maintenant, à cause de lui, menace d’une guerre son beau-père Théron, tyran d’Agrigente, le tout pour lui prendre sa femme Damaréta. C’est à un homme enivré de sa puissance, comme Ixion l’avait été de la faveur des dieux, prêt à devenir incestueux et fratricide, que s’adressent les avertissemens contenus dans cette primitive et barbare légende. Un fratricide et un inceste, même en pensée, voilà de lourdes charges pour la mémoire du tyran de Syracuse : heureusement pour lui et pour l’humanité, ces crimes n’ont aucune existence historique. C’est Bœckh qui seul a découvert la passion d’Hiéron pour sa belle-sœur, et cela uniquement par la vertu de son système d’interprétation. Une conséquence aussi violente ne l’a pas fait reculer. On ne s’étonnera pas qu’il n’ait pas convaincu tout le monde. G. Hermann, qui trouve d’ailleurs qu’une allégorie si peu délicate n’était guère de nature à raffermir auprès d’Hiéron la faveur de Pindare, alors ébranlée, à ce qu’il croit avoir découvert, est plutôt d’avis que l’ode ne contient que des éloges pour le tyran de Syracuse, et que l’allusion renfermée dans le mythe s’adresse au tyran de Rhégium, Anaxilas, dont Hiéron, par sa bienveillante intervention, vient de prévenir une entreprise contre les Locriens Épizéphyriens. Oui, sans doute, il s’agit d’Anaxilas, dit à son tour un savant éditeur, M. Tycho Mommsen, qui adopte pleinement cette explication ; et il la confirme par un complément inattendu. La poète dit que le téméraire Ixion « pénétra dans la chambre profonde de Zeus. » Qu’est-ce que cette chambre profonde, où il voulait consommer son crime et où, en réalité, déçu par une illusion, la nuée qui avait revêtu l’apparence de la déesse, il trouva sa perte en appelant sur lui la vengeance divine ? C’est une vallée, profonde comme toutes les vallées, où Anaxilas livra combat aux Locriens et, par cette agression, provoqua, avec l’intervention d’Hiéron, la ruine de ses propres espérances. Il est vrai que l’histoire ne parle pas de ce combat dans une vallée ; mais comment fermer les yeux à l’évidence du témoignage de Pindare ?

Pindare est ainsi rempli d’allusions instructives, qui portent non-seulement sur des faits historiques, mais sur une foule de détails que reconnaît la sagacité des interprètes. On avait remarqué depuis longtemps le début de la Ire Olympique, où trois comparaisons font ressortir la supériorité des jeux d’Olympie. « L’eau est le premier des élémens ; parmi les biens de la noble richesse, l’or