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tres critiques, il sait marquer les nuances de cette physionomie si fière dans sa mâle sérénité, dont notre Ronsard n’a pu nous donner, malgré sa noblesse de nature et sa bonne volonté d’imitateur, qu’une image bien affaiblie.

Dans une étude morale de Pindare, il y a un point d’un intérêt particulier, c’est ce qui concerne son patriotisme. Son amour pour sa ville natale s’exprime en toute occasion avec une vivacité qui ne permet pas le doute ; et, d’un autre côté, bien que Thèbes ait été à Platée l’auxiliaire énergique des Perses, il célèbre à plusieurs reprises leurs défaites : pour lui, leur invasion, c’était « le rocher de Tantale, suspendu au-dessus de la tête des Grecs, qu’un dieu a enfin détourné. » Son patriotisme panhellénique s’étend même jusqu’aux victoires d’Hiéron sur les Carthaginois et les Tyrrhéniens, par laquelle « l’Hellade a été soustraite à la lourde servitude ; » et il rapproche, dans une même louange en l’honneur d’Athènes, de Sparte et de Syracuse, les combats de Salamine, de Platée et d’Himère, où trois fois les Grecs ont vaincu les barbares. Voici pourtant que, d’autre part, malgré ces éclatans témoignages de ses sentimens, un juge d’une autorité considérable, Polybe, l’accuse lui-même de connivence avec ses concitoyens dans leur trahison, dans ce médisme qu’ils ont embrassé par une crainte égoïste des maux de la guerre ; et il cite à l’appui de cette accusation des vers qu’il nous fait connaître. Il est vrai qu’il paraît en dénaturer le sens ; cependant on peut en inférer avec quelque vraisemblance que, dans les troubles qui précédèrent ou qui suivirent la défaite commune des Thébains et des Perses, Pindare resta partisan de cette aristocratie qui conduisit la ville à trahir la cause nationale, et voulut aider au rétablissement de son autorité. Lui-même d’ailleurs en faisait partie par sa naissance. Quelle est donc la vérité sur les sentimens de Pindare ? Était-il pour Thèbes ou pour la Grèce ? N’aurait-il pas varié suivant les temps, partisan du grand roi avant ses échecs, de la cause hellénique après son triomphe ? Ou bien ces éloges de la victoire de Salamine à Égine et à Athènes, de celle d’Himère à Syracuse, ne seraient-ils que des témoignages de la condition générale du poète lyrique, panégyriste obligé de ceux pour lesquels il chante, et n’ayant pas la liberté d’omettre leur plus glorieux succès parmi tous ces titres d’honneur qu’il doit faire revivre en ces jours de fête ? On voit qu’il y a matière de discuter. Nous n’entrerons pas ici dans le détail de cette discussion ; mais nous nous bornerons à dire que, pour notre part, nous ne pouvons pas réussir à voir autre chose qu’un contre-sens dans l’interprétation que Polybe paraît donner aux deux vers isolés sur lesquels il appuie son accusation. Ces deux vers, même en les complétant par deux autres qu’on trouve dans Stobée, sont bien peu de chose à mettre