Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/813

Cette page a été validée par deux contributeurs.
807
PINDARE.

coup arrêtèrent volontiers leur esprit sur les diverses solutions qu’on donnait de tout côté au problème de la destinée humaine, et surtout partagèrent la préoccupation émue des penseurs qui se dévouaient à ces recherches : des poètes et des artistes transportèrent jusque dans leur art ce noble souci qui s’était emparé de leur âme. Le premier à nommer est Eschyle ; le second est Pindare.

Pour conclure, si les croyances de Pindare sont difficiles à définir, sa piété et sa religion sont au-dessus du doute. Il honore les dieux par ses chants et par le culte qu’il leur rend. Lui-même atteste la dévotion particulière qu’il a pour certains d’entre eux ; et la tradition nous apprend qu’à Delphes, le sanctuaire national de la Grèce, on lui avait décerné des privilèges et des honneurs : il est à croire que ce n’était pas seulement un hommage rendu à son talent poétique, mais aussi une consécration de l’autorité religieuse et morale qu’il devait à son caractère. Quant à ses croyances, elles sont conformes à la nature de la religion ; pas plus précises dans certaines régions mythologiques qu’elle ne l’est elle-même ; et le caractère nomade de sa muse, appelée sur tant de points divers, en lui mettant sous les yeux la diversité des mythes et des cultes, ajoute encore à sa liberté. Mais il porte partout un fonds qui est à lui et qui ramène par sa constance cette matière inconsistante et mobile à une sorte d’unité : le sentiment de la grandeur divine, dont il est pénétré, et le souci de la destinée humaine, dont il cherche et croit par momens saisir certaines lois, au milieu de la variété des légendes et des vicissitudes de la fortune. Voilà ce que lui inspirent les fêtes triomphales ; il éprouve constamment le besoin d’exprimer, dans l’éclat de ces fêtes, ces préoccupations intimes de sa pensée, d’en tirer des avertissemens que les ailes de la musique et de la poésie portent jusqu’aux oreilles des vainqueurs pendant la célébration même de leur victoire. C’est lui, lui seul qui a fait de l’ode triomphale cet usage imprévu. On a eu raison de le comparer à Bossuet à la fois pour la sublimité du style et pour l’autorité morale.

Gardons-nous d’effacer le trait principal de cette grande figure de poète païen. C’est une des plus tristes erreurs de la critique, et il est peut-être difficile d’y échapper aujourd’hui, que d’amoindrir et d’égaliser par la petitesse de l’analyse : le premier soin devrait être, au contraire, de mettre en pleine lumière ce qui est supérieur et original. Il y a d’ailleurs beaucoup à analyser chez Pindare ; et M. Croiset, qui n’a pas méconnu chez lui la prédominance de l’esprit religieux, mais, à notre sens, l’a parfois trop atténuée, donne une suite excellente d’études fines et justes sur tous les aspects moraux de son génie. Sans faire de ses sentimens et de ses idées un inventaire analogue à ceux auxquels se sont bornés d’au-