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ler des dieux, dit-il, il faut n’en rien dire qui ne soit beau, car la faute est moindre. » La faute ! voilà jusqu’où il pousse le respect religieux. Il est tellement rempli de cette pensée de la grandeur divine, qu’il met en tête d’une ode triomphale, c’est-à-dire d’un chant de victoire, ce magnifique début :

« Il y a la race des hommes, il y a celle des dieux ; toutes deux sont issues de la même mère ; mais une différence absolue de puissance les sépare : l’une n’est rien, tandis que le ciel d’airain est pour l’autre une demeure inébranlable et éternelle. Cependant la grandeur de l’esprit et les qualités du corps nous rapprochent quelque peu des immortels, bien que nous poursuivions jour et nuit une course dont le destin a caché le but à notre ignorance. »

Voilà, en quelques traits, la grandeur et la misère de l’homme ; voilà l’ébauche d’une explication de la destinée humaine : Pindare la complétera ailleurs ; il ira même jusqu’à suivre l’homme au-delà du tombeau dans les vicissitudes qu’il lui ménage avec les pythagoriciens, parce qu’il a foi dans la noblesse native et dans les droits de la nature humaine. M. Croiset remarque que la vie future tient peu de place chez lui : il y aurait plutôt lieu de s’étonner qu’elle en tienne une, tant un pareil sujet semble répugner au caractère d’une ode triomphale. Qu’on relève, si l’on veut, quelques différences de détail entre la iie Olympique et d’intéressans fragmens de chants funèbres ; qu’on remarque que l’expression varie, qu’elle est plus ou moins mystique, qu’elle se rapproche plus de la doctrine d’Éleusis ou de celle de Pythagore, suivant qu’il s’agit d’un Athénien ou d’un habitant de la Sicile, et qu’on en infère que le poète ne s’asservit à aucune croyance : il ne faut pas dire pour cela que c’est pour lui affaire de curiosité et de composition poétique, « qu’il aime à traverser d’un rapide essor les plus beaux systèmes de son temps et à rapporter de ses explorations quelques nobles idées qui servent à sa poésie de parure et de soutien. » Ce n’est pas se faire une idée juste d’un Grec éclairé de ce temps, que de croire qu’il n’y a pas pour lui de milieu entre l’indifférence et une adhésion complète à l’un des systèmes philosophiques ou religieux qui sont alors dans leur force. Jamais les Grecs, ni en religion ni en philosophie, n’ont été esclaves de la lettre ; l’idée d’orthodoxie, qu’on veut introduire ici, n’est pas antique. Ce qui est vrai et bien remarquable, c’est ce mouvement commun de pensée philosophique et d’émotion religieuse qui se produit alors de l’orient à l’occident du monde grec. Phérécyde, Xénophane, Pythagore, bientôt Empédocle, exposent sous des formes diverses leurs spéculations inspirées ; en même temps l’orphisme se développe, et, sous l’inspiration de son dieu, spiritualise les mystères d’Éleusis. Sans être éléates, ni pythagoriciens, ni adeptes déclarés de l’orphisme, beau-