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PINDARE.

la viie Isthmique, la prédiction par laquelle Thémis apaisa la querelle de Zeus et de Poséidon, se disputant l’hymen de Thétis, et de lui attribuer ainsi la vulgarisation d’un mythe local jusque-là inédit ? Le nom de Thémis figurait-il ou non dans les légendes thessaliennes où il avait puisé ? Nous n’en savons rien ; mais la chose est assez indifférente. Ce qu’il importe de remarquer, c’est que le mythe, c’est-à-dire l’action vivante de la divinité, n’existe que grâce à Pindare ; c’est son œuvre, son invention. Il le compose d’après les procédés consacrés de la poésie grecque ; il fait comme avait fait Homère ; la seule différence vient des progrès de l’art et de la pensée religieuse. — Le poète de l’Iliade développe ce thème, que les vents Borée et Zéphyre, à la prière d’Achille, viennent enflammer le bûcher de Patrocle ; Iris arrive, chargée de cette prière, au palais de Zéphyre, où un banquet réunit tous les Vents ; en la voyant apparaître sur le seuil, tous se lèvent, et chacun l’invite à prendre place près de lui ; elle refuse, s’acquitte de son message, et quelques magnifiques vers de description, les seuls qui, pour nous, relèvent le caractère poétique de ce petit mythe, nous peignent la course des vents sur la mer depuis la Thrace jusqu’à la Troade. C’est ainsi que la naïve fiction d’Homère entre sans peine dans une religion qui anime et divinise les phénomènes naturels. Voyons comment procède Pindare.

Il connaissait l’antique légende thessalienne sur la querelle de Zeus et de Poséidon, et sur la prédiction qui fit renoncer ces dieux à leur poursuite, parce que de Thétis devait naître un fils supérieur à son père. C’est à cette prédiction qu’il s’attache pour lui donner une valeur nouvelle. De même Eschyle, réservant à Prométhée l’honneur de la prononcer, en fit le ressort principal de sa grande trilogie. Pindare, lui, représente en elle l’action supérieure de la puissance régulatrice, intervenant pour arrêter un débat qui met aux prises les deux plus grandes forces de l’univers et le menace d’une nouvelle révolution. Cette puissance, c’est Thémis, l’antique personnification de l’idée abstraite de l’ordre : il la fait agir comme agissait chez Homère Iris, la personnification des messages divins. Thémis paraît au milieu d’une assemblée et fait entendre sa parole grave et inspirée : « Cessez : entrée dans le lit d’un mortel, que Thétis voie périr dans les combats un fils pareil à Arès par la force de son bras et à l’éclair par la vitesse de ses pieds… Que la fille de Nérée ne mette pas deux fois dans nos mains des suffrages de discorde… » Les dieux subissent son ascendant et se soumettent.

L’imagination de Pindare est donc libre au milieu de tous ces mythes curieusement adaptés à son sujet. Son esprit ne l’est pas moins. Il ne s’enchaîne pas à la lettre d’une seule légende religieuse et ne se préoccupe pas d’orthodoxie ni de constance dans