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cher aux antiques légendes qu’a créées la féconde imagination de la Grèce. Certains hymnes homériques en sont la preuve. Or Pindare raconte beaucoup, mais le plus souvent ne développe pas ; il concentre et résume en quelques traits. S’arrête-t-il sur un point : il supprime ou abrège le reste. « Je sais, dit-il, un chemin rapide ; » et il se dérobe, laissant le lecteur déçu et déconcerté. Comment donc se fait-il qu’il ait été l’objet d’un tel enthousiasme chez les anciens ? À cette question les réponses ne manquent pas, et chacune marque une différence profonde entre l’antiquité et nous, au point de vue moral et au point de vue de l’art.

Évidemment, et c’est la première explication à donner, les odes de Pindare répondaient à un ordre de sentimens qui avaient chez les Grecs une force inconnue aux modernes. C’étaient des chants destinés à des fêtes patriotiques. Que le vainqueur fût un prince ou quelque particulier de grande famille, que la victoire se célébrât dans un palais ou dans une maison, dans un temple ou au prytanée ou sous un portique, la cité était toujours associée à la solennité ; cette illustration d’un de ses enfans était sa propre illustration, et le premier devoir du poète était de la chanter elle-même ; il prêtait sa voix au patriotisme. Mais à quel patriotisme, voilà ce qu’il faut définir.

Un Français du XIXe siècle se représente un chant patriotique plus ou moins d’après le type de la Marseillaise. L’énergie de la lutte contre l’invasion étrangère, le sacrifice de la vie pour la patrie en danger, la passion généreuse qui soulève toutes les poitrines, l’honneur de suivre les plus grandes traditions de dévoûment et de gloire et de les transmettre à la postérité ; joignez-y encore la haine de l’oppression : tels sont à peu près les thèmes qui s’offrent à sa pensée. Le patriotisme d’une cité grecque n’est pas si vite défini ; c’est un sentiment complexe en étroit rapport avec son organisation et avec sa vie.

Il a pour premier fond la religion, sur laquelle s’appuie chez les Grecs, à l’origine, la constitution sociale et politique. Cette religion s’adresse d’abord aux grands dieux communs à toutes les villes : quelques-uns d’entre eux, Jupiter, Apollon, Neptune, président particulièrement aux jeux d’Olympie, de Némée, de Delphes, de l’Isthme ; ils président aussi aux victoires remportées. Ce sont en général ces divinités supérieures de l’Olympe qui surveillent la marche du monde avec un soin jaloux et dont il importe que chaque cité se garde de provoquer la colère, en négligeant les hommages constans qui leur sont dus. Chacune a, de plus, suivant ses origines et la race qui l’a fondée, ses patrons divins, qui habitent ses temples et la suivent dans tous le cours de sa destinée depuis son berceau. Athènes est la ville de Minerve, Sparte celle d’Apollon, Etna,