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qui donne par une image sensible la vive impression de cet ensemble de caractères dont se compose le style, beaucoup plus difficile à saisir dans la poésie lyrique des Grecs que dans leurs monumens, mais qui demandait, pour rester juste, tout le tact d’un écrivain qui a su se borner à une légère esquisse. Rien ne serait plus faux, par exemple, que d’assimiler rigoureusement à l’ordonnance régulière d’un temple de Phidias le dessin souple et varié d’une ode de Pindare.

À dire vrai, malgré la justesse et le talent avec lesquels on avait quelquefois parlé de Pindare en France, ce grand et difficile sujet n’y avait donc pas encore été franchement abordé, ni sérieusement traité en lui-même. C’est ce que vient de faire enfin M. Croiset dans un travail qui est le fruit d’une patiente et sincère étude du poète et de toutes les questions qui se rapportent à l’interprétation de ses œuvres. Pour le mener aussi heureusement à fin, il fallait un mélange bien rare de science et de goût. Si l’on est tenté d’en critiquer le plan, qui paraît trop subordonné à une pensée didactique, on doit songer qu’il s’agissait, en effet, de faire l’éducation du public et, avant de lui soumettre des appréciations, de lui donner la connaissance des conditions générales d’un sujet si nouveau pour lui. Indiquons nous-même pour quelles causes on a besoin d’être préparé à lire et à juger Pindare, et quels sont ces sentimens et ces impressions poétiques d’un ordre particulier dans lesquels on n’entre pas de soi-même aujourd’hui. Nous déterminerons par là même la matière des principaux chapitres du livre qui était à faire et qui est fait.


I.

Pourquoi la poésie lyrique des Grecs, dans son expression la plus noble, n’inspire-t-elle en général aux modernes qu’un intérêt assez froid ? C’est d’abord qu’elle n’est ni passionnée ni dramatique.

Il n’en était pas de même de la poésie éolienne de Lesbos. Le peu que nous en avons suffit pour nous charmer. Nous l’aimons dans ses rares débris ; nous l’aimons dans les imitations affaiblies de la muse latine ; les mots du poète sont restés vrais :

Spirat adhuc amor,
Vivuntque commissi calores
Æoliæ fidibus puellæ.

Et quand le même Horace nous représente Alcée tenant encore tous les enfers sous le charme de son archet d’or, et les ombres se pressant en silence pour boire avidement ses paroles enflammées sur l’exil, sur la guerre, sur la chute des tyrans de sa patrie, cha-