Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/80

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme jamais souverain ne l’a été, à sa rentrée dans ses états. Le chemin de fer du Pacifique l’amena dans l’Ouest, où il est né, où il réside et qui est peuplé de ses anciens compagnons d’armes. Il y fut accueilli avec d’autant plus d’enthousiasme que les honneurs presque royaux qui lui avaient été rendus dans le vieux monde flattaient singulièrement la vanité du peuple américain, qui voyait dans ces honneurs prodigués à son premier citoyen une reconnaissance et une consécration de la grandeur des États-Unis. Les ovations redoublèrent à l’arrivée du général à Philadelphie, où des fêtes populaires se succédèrent en son honneur pendant huit jours.

Qui n’aurait cru que le général avait droit à quelque repos après avoir fait le tour du monde ? Ses amis n’en jugèrent point ainsi. Plus de trois mois devaient s’écouler encore avant la réunion de la convention républicaine, convoquée à Chicago, pour le 2 juin : il fallait soustraire le général aux importunités des questionneurs et aux indiscrétions des journaux. Le général s’embarqua donc pour la Havane, et alla parcourir ensuite le Mexique, où le président Porfirio Diaz lui fit passer des revues, et il revint par le Texas et la vallée du Mississipi. Cette dernière excursion avait pour objet d’enlever à M. Blaine l’appui des conventions républicaines du Sud, et en même temps de calmer les défiances et les appréhensions des anciens défenseurs de l’esclavage. On ne doutait point de l’enthousiasme que les affranchis feraient éclater pour l’homme qu’ils considéraient comme leur libérateur ; mais n’était-il pas à craindre que des manifestations trop vives de la part des noirs ne portassent ombrage à leurs anciens maîtres ? L’accueil de ceux-ci fut meilleur que le général ne devait s’y attendre. L’amour-propre plaidait chez les confédérés en faveur de l’homme que le peuple se plaît a appeler le plus grand guerrier du siècle, pour les avoir vaincus. Le général Grant n’est pas un orateur, et sa réputation de laconisme est aussi bien établie que sa réputation militaire ; mais on doit reconnaître que les petits discours qu’il prononça pendant ce voyage furent marqués au coin d’une singulière habileté. Quoi de plus propre à plaire aux anciens compagnons d’armes de Lee et de Stonewall Jackson que de faire l’éloge des armées du Sud, de leur bravoure et de leur discipline ? Quoi de plus adroit que de déclarer que les faits d’armes accomplis des deux côtés ont ajouté au prestige du nom américain, qu’ils font partie de la gloire nationale, et qu’ils ont montré à l’étranger l’invincible puissance des États-Unis ? De pareils complimens avaient d’autant plus de prix qu’ils venaient d’un adversaire. Le général ne toucha à la politique que pour prêcher l’oubli du passé, pour exhorter toutes les classes à la concorde,