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Passant ensuite aux dispositions intérieures de la France, Votre Majesté ferait connaître qu’elle veut donner toutes les garanties qui seront jugées nécessaires. Comme le choix de ses ministres est l’une des plus grandes qu’elle puisse offrir, elle veut, dès à présent, annoncer un changement de ministère. Elle doit dire que les ministres qu’elle emploie ne sont nommés que provisoirement, parce qu’elle veut se réserver de composer son ministère, en arrivant en France, de manière à ce que la garantie qu’il donnera en soit une pour tous les partis, pour toutes les opinions, pour toutes les inquiétudes.

Enfin il serait bon encore que cette déclaration parlât des domaines nationaux[1], et qu’elle s’exprimât à ce sujet d’une manière plus positive, plus absolue, plus rassurante encore que la charte constitutionnelle, dont les dispositions n’ont pas suffi pour faire cesser les inquiétudes des acquéreurs de ces domaines. Il est aujourd’hui d’autant plus important de les calmer, et de ne plus

  1. On se rappelle que c’est sur la proposition de M. de Talleyrand, alors évêque d’Autun, que les biens ecclésiastiques furent déclarés bien nationaux, le 2 novembre 1789. On procéda à la vente de ces biens; c’est sur eux que reposèrent les assignats.
    « Ce qui est plus sérieux, c’est que deux curés ont refusé les sacremens à deux mourans acquéreurs de biens d’émigrés ; l’un s’y est refusé : vous savez où il ira ; l’autre y a consenti, mais tellement à la dernière extrémité, que le curé a pris l’assistance à témoin de sa restitution et a laissé échapper l’âme du mourant sans le moindre arrangement pour sa route. »
    (Jaucourt ’à Talleyrand, 11 février 1815.)
    « Le maréchal (Soult), Beugnot et moi sommes restés jusqu’à une heure à l’issue du dîner. J’ai attaqué le maréchal en ces termes : « Puisque le hasard place ensemble quatre ministres qui seraient déshonorés si le roi cessait de régner par la charte, il paraît que l’occasion est belle pour parler de l’état de l’opinion. » Le maréchal a été forcé de répondre, mais si déconcerté, qu’il nous a naturellement conté qu’il avait déclaré à un général Travaut, galant homme, bon officier, qu’il ne l’emploierait que quand il aurait rendu les biens d’émigrés qu’il avait acquis. Le pauvre général Travaut en a pour deux cent cinquante mille francs, qui sont sa fortune entière... Arrivez, croyez-moi. Je vous promets le maréchal comme un chien barbet. C’est un homme que vous subjuguerez, qui se croit supérieur à son patron, qui ne sait comment sortir du conseil de famille par lequel il est arrivé, qui craint l’abbé et le hait, qui a peu d’espoir, point de vues, qui cède aux obstacles et heurte les difficultés, un orateur de réunion militaire, vain, grossier, et adroit, et souple, et, suivant l’ancien adage, animal capax, rapax omnium beneficiorum. »
    (Id., 11 février 1815.)
    Dès le 18 octobre 1814, on écrivait de Paris à M. de Talleyrand :
    « Une question qui agite toujours beaucoup les esprits, c’est celle des biens nationaux. La législation sur cet objet paraît assez fixée, mais l’opinion ne l’est point. De là les espérances exagérées des uns, les craintes chimériques des autres. Il y a six jours, l’on a mis en vente à l’enchère trois maisons d’émigrés, rue Vivienne. J’y ai assisté; il n’y a pas eu un sol d’offre. Ce sont les plus belles maisons de la rue. Pendant les criées, il circulait dans la salle que l’ancien propriétaire demandait quatre-vingt mille francs pour les patrimonialiser. Le fait est vrai. Je l’ai vérifié. »