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Enfin si la loi n’était pas l’expression d’une volonté formée par une réunion de trois volontés distinctes.

Dans les sociétés anciennes et nombreuses, où l’intelligence s’est développée avec les besoins, et les passions avec l’intelligence, il est nécessaire que les pouvoirs publics acquièrent une force proportionnée, et l’expérience a prouvé qu’on les fortifie en les divisant.

Ces opinions ne sont plus aujourd’hui particulières à un seul pays, elles sont communes à presque tous. Aussi partout on demande des constitutions, partout on sent le besoin d’en établir d’analogues à l’état plus ou moins avancé des sociétés politiques, et partout on en prépare. Le congrès n’a donné Gênes à la Sardaigne, Lucques à l’infante Marie-Louise d’Espagne, il n’a restitué Naples à Ferdinand IV, il ne rend les légations au pape qu’en stipulant pour ces pays l’ordre de choses que leur état actuel a paru requérir ou comporter. Je n’ai vu aucun souverain, aucun ministre qui, effrayé des suites que doit avoir en Espagne le système de gouvernement suivi par Ferdinand VII, ne regrettât amèrement qu’il ait pu remonter sur son trône[1] sans que l’Europe lui eût imposé la condition de donner à ses états des institutions qui fussent en harmonie avec les idées du temps. J’ai même entendu des souverains dont les peuples, encore trop peu avancés dans la civilisation, ne sont pas susceptibles de recevoir les institutions qui la supposent parvenue à un haut degré, s’en affliger comme d’un malheur dont ils souffrent eux-mêmes.

J’ai recueilli ces opinions du milieu des délibérations de l’Europe assemblée. Dans tous les entretiens que j’ai eus avec les souverains et avec leurs ministres, je les en ai trouvés pénétrés. Elles sont exprimées dans toutes les lettres qu’écrivent les ambassadeurs d’Autriche et de Russie à Londres, et dans celles de lord Castlereagh. C’était donc un devoir pour moi de le soumettre à Votre

  1. On peut juger de l’état de l’Espagne par ce que Jaucourt écrivait à Vienne, le 7 décembre 1814 :
    « Le général Alava a été mis en liberté : il la doit à la crainte d’une émeute. Des arrestations nombreuses se succèdent ; des familles entières sont conduites à l’inquisition ; les libéraux sont toujours poursuivis. Le plus grand mérite ne garantit de rien. »