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moral de M. Hayes. Ses amis ne manqueraient pas de faire valoir en sa faveur le succès constant de ses mesures financières ; mais de tels services, si importans qu’ils soient, ne sont pas de ceux qui agissent sur les imaginations, et M. Sherman ne semblait pas jouir d’un prestige suffisant pour entraîner les masses populaires qui décident souverainement de l’élection. En dehors de M. Blaine et de M. Sherman, on n’apercevait personne d’une notoriété assez grande pour justifier une candidature. Aussi, dès la fin de 1878, nombre de républicains, alarmés des divisions de leur parti et craignant de le voir tomber dans une désorganisation complète, s’étaient pris à regretter la fermeté et la vigueur militaire avec lesquelles le général Grant contraignait toutes les ambitions personnelles à plier sous le joug de la discipline : la pensée de ramener le général au pouvoir s’était présentée à beaucoup d’esprits. Le général n’avait pas osé déroger à une tradition qui avait acquis la force d’une loi et solliciter une troisième candidature : il avait appréhendé qu’on ne l’accusât de vouloir se perpétuer au pouvoir ; mais pouvait-il encourir encore ce reproche, après avoir cédé la place à un successeur auquel on ne pouvait prétendre qu’il eût créé aucune difficulté ? Une élection nouvelle, après un intervalle, donnait-elle prise aux mêmes objections qu’une troisième présidence consécutive à deux autres ? Ce n’était pas se perpétuer au pouvoir que d’y être ramené par la volonté du peuple après en être descendu.

La pensée de porter de nouveau M. Grant à la présidence rencontra assez de faveur au sein des masses pour inspirer confiance à ses amis et les déterminer à agir. L’absence du général, qui s’était embarqué pour l’Angleterre peu de temps après l’installation de M. Hayes et qui avait entrepris le tour de l’Europe était une circonstance favorable : elle donnait à la candidature du général un caractère de spontanéité qui mettait celui-ci à l’abri de toute imputation d’intrigue et d’ambition personnelle. Le réveil de sa popularité rendait la tâche facile : il suffisait d’empêcher l’ex-président de se compromettre sur les questions épineuses qui divisaient la nation, mais dont on pouvait regarder la solution comme prochaine. Lorsque les amis du général apprirent qu’il était revenu à Liverpool afin de s’embarquer pour les États-Unis, ils lui télégraphièrent de prolonger son absence autant que possible, se chargeant de le rappeler en temps utile. Déférant à cet avis, l’ancien président reprit aussitôt le chemin de la France, qu’il venait de visiter : il s’embarqua à Marseille pour l’Égypte. Après avoir remonté le cours du Nil jusqu’aux Pyramides et jusqu’aux Cataractes, il passa dans l’Inde, qu’il parcourut, visita le Japon, toucha en Chine et vint enfin débarquer à San Francisco, où il fut reçu