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Mais quelque légitime que soit un pouvoir, son exercice doit varier selon les objets auxquels il s’applique, selon les temps et selon les lieux. Or l’esprit des temps où nous vivons exige que, dans les grands états civilisés, le pouvoir suprême ne s’exerce qu’avec le concours de corps tirés du sein de la société qu’il gouverne.

Lutter contre cette opinion, c’était lutter contre une opinion universelle, et un grand nombre d’individus placés près du trône nuisaient essentiellement au gouvernement parce que celle qu’ils exprimaient y était opposée[1]. Toute la force de Votre Majesté consistait dans l’idée que l’on avait de ses vertus et de sa bonne foi ; quelques actes tendirent à l’affaiblir. Je citerai seulement à ce sujet les interprétations forcées et les subtilités par lesquelles quelques dispositions de la charte constitutionnelle parurent éludées, particulièrement dans des ordonnances qui renversaient des institutions fondées sur des lois. Alors on commença à douter de la sincérité du gouvernement, on soupçonna qu’il ne considérait la charte que comme un acte passager, accordé à la difficulté des circonstances, et qu’il se proposait de laisser tomber en désuétude, si la surveillance représentative lui en laissait les moyens. On craignit des réactions ; quelques choix augmentèrent ces craintes : la

  1. Au milieu d’éloges pour Monsieur et le duc d’Angoulême, Beugnot dit (23 octobre 1814) à Talleyrand:
    « M. le duc de Barry a perdu dans l’opinion de la ville et de l’armée. Ce prince s’est montré dans ces derniers temps sévère et quelquefois dur. Ce doit être un système chez lui, car de sa nature il n’est que bourru, et, comme tous les bourrus, excellent par le cœur. »
    « On ne peut pas se dissimuler que le nom de M. de Blacas a beaucoup été prononcé, à tort ou à raison, dans les derniers événemens. C’est ce que M. de Richelieu m’a dit pour le dedans et ce que je puis vous dire pour le dehors. Faites le plus que vous pourrez pour que les actions du roi n’aient pas l’air d’être sous son influence. Tenez pour certain que l’opinion de cette influence suffit pour le faire regarder avec des préventions défavorables. Des personnes qui sont restées autour du roi, vous seul y êtes resté tout entier, et par conséquent vous seul pouvez lui être vraiment utile. »
    (Talleyrand à Jaucourt, 9 avril 1815.)
    « Le décri est tel contre M. de Blacas, que le roi est le seul auquel on n’en parle pas; mais le duc de Grammont, et toute la maison Charles de Damas, et tous les commandans militaires, le duc de Raguse qui est au moment de se retirer, le conseil, Lally, Chateaubriand, Beurnonville... ne veulent pas se mêler d’affaires avec lui, et déclarent que la nation française a pour lui une disposition analogue à celle des Espagnols pour le prince de la Paix... »
    « Monsieur m’a dit : « On ne peut rien laisser qui accorde ce principe extravagant de la souveraineté du peuple. »
    (Jaucourt à Talleyrand, 28 avril 1815.)