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vraisemblable que le cabinet anglais, dans sa diplomatie ou dans les réponses qu’il fera aux interpellations du parlement, songe à aggraver les difficultés du moment par des prétentions particulières ou par des contestations inattendues. L’Italie, de son côté, que peut-elle légitimement désirer ? Quels sont ses intérêts avouables ? De la sécurité, une protection suffisante pour ses nationaux qui sont assez nombreux, elle a certes le droit de les demander et on les lui doit. Au-delà il n’y aurait plus de sa part qu’une politique d’ambition et de jalousie à laquelle ses forces pourraient ne pas toujours suffire. Il serait étrange que l’Italie, qui a tant de peine à régler ses finances, à supprimer son papier-monnaie, trouvât dans son budget des moyens de subventionner à Tunis des entreprises contre la France dont elle a eu si souvent besoin, à laquelle elle a recours encore à cette heure même pour un emprunt nouveau. Il serait singulier qu’elle recherchât les colonisations lointaines lorsqu’elle a tant à coloniser sur son propre sol, dans le Napolitain, dans le Mantouan, en Sardaigne, même autour de Rome. Pour les Italiens, Tunis, c’est une fantaisie ; pour la France, au contraire, bien plus que pour Italie ou pour l’Angleterre, c’est une question essentielle, de premier ordre. La France n’est pas seulement engagée par le passé, par une longue tradition de protectorat ; elle a les intérêts les plus sérieux et les plus directs à couvrir, elle a sa frontière à sauvegarder, elle a la sûreté intérieure de ses provinces algériennes à défendre contre les propagandes agitatrices. Elle ne peut à aucun prix admettre à ses portes un camp ennemi ; c’est une politique qui résulte pour elle de la nature des choses, et il est évident qu’en s’expliquant simplement, sans arrière-pensée comme sans hésitation avec l’Italie comme avec l’Angleterre, elle pourra causer quelque déplaisir, surtout à Rome, mais elle fera admettre les raisons qui lui imposent la nécessité d’en finir avec une question importune. Quant au bey de Tunis ; autour de qui se nouent toutes les intrigues aujourd’hui, l’explication la plus simple et la plus décisive avec lui, c’est de ne pas lui laisser un doute sur les intentions arrêtées de la France.

Plus d’une fois depuis le congrès de Berlin on a rappelé que la Tunisie avait eu un rôle dans les conversations de la diplomatie de cette époque, et que si la France l’avait voulu, la prise de possession de la régence aurait été possible avec le consentement de l’Europe, dans un moment où l’Autriche entrait en Bosnie, où l’Angleterre prenait Chypre. Si l’offre a été faite réellement, elle a été déclinée par honneur, par dignité, et après tout c’est une question de savoir si une annexion réalisée dans ces conditions n’aurait pas eu plus d’inconvéniens que d’avantages. Aujourd’hui, dans tous les cas, il ne s’agit plus d’annexion ni de conquête, ceux qui tiennent à l’indépendance de Tunis peuvent se rassurer ; il s’agit de ramener le bey au sentiment de sa situation, de