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appelées collèges ou sodalités, qui comptaient tant d’adhérens à Rome. On y parvenait sans trop de peine, ni de dépense : les associés s’entendaient d’ordinaire si bien entre eux qu’il suffisait d’en gagner un pour avoir les autres. Parmi ces associations, les plus nombreuses, les plus connues, étaient celles qu’on appelait des collèges de carrefour (collegia compitalicia), composées des pauvres gens d’un quartier qui se réunissaient pour s’amuser ensemble, célébrer en plein air un festin frugal, ou regarder quelques gladiateurs de village qu’on faisait combattre dans la rue. Ils ne se faisaient pas payer cher et rendaient beaucoup de services. Un candidat pouvait compter sur eux un jour d’émeute; ils lui fournissaient, en temps ordinaire, des mains vigoureuses pour l’applaudir au forum, quand il parlait, des voix stridentes pour imposer silence à ses rivaux. Les collèges de carrefour finirent par commettre tant de violences et causer tant de désordres qu’ils furent supprimés par une loi de Crassus. On fut bien forcé alors de s’y prendre d’une autre façon : il y eut des gens qu’on chargea de faire une sorte de recensement général du peuple (descriptio populi). Ils mettaient à part les citoyens qu’on savait disposés à se vendre, — c’était la majorité, — puis ils en formaient des groupes, subordonnés entre eux, avec des chefs qui menaient le reste ; c’est ce qu’on appelait decuriare et centuriare urbem. Il y avait donc alors, en face l’un de l’autre, deux gouvernemens, l’un légal, l’autre occulte, qui fonctionnaient à peu près de la même façon. Le premier partageait les citoyens en tribus et en classes pour les mener voter au champ de Mars ; le second les divisait en décuries ou en centuries pour arriver plus facilement à les corrompre. Ils avaient tous les deux une hiérarchie de fonctionnaires importans. Les chefs de l’armée de la brigue étaient les divisores, qui se chargeaient de distribuer l’argent du candidat. Ils faisaient assurément un vilain métier, mais, comme à la fin on ne pouvait plus se passer de leurs services, les plus grands personnages les ménageaient, et l’on vit un jour sans trop de surprise les consuls recevoir dans leur maison tous les divisores de Rome et traiter directement avec eux. Au-dessous il y avait ceux qu’on appelait interpretes, qui faisaient les contrats avec les collèges et les centuries. Tous ces gens-là, on le comprend, se méfiaient avec raison les uns des autres, et ils avaient pris leurs précautions pour n’être pas dupés. Les divisores ne commençaient leurs opérations que lorsque le candidat avait tiré de sa bourse la somme convenue; mais, de son côté, le candidat exigeait qu’elle ne fût pas remise aux électeurs avant le vote. On la déposait donc en attendant chez une personne riche et connue, à laquelle on donnait le nom de sequester, et qui en