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à tous crins qui l’ont qualifiée de déshonorante. Quant aux Boers, ils sont trop sages pour que leurs premiers succès les aient grisés et leur aient enflé le cœur ; ils ont agréé les conditions qu’on leur faisait. Assurément, quand on en viendra aux détails, il y aura des points chatouilleux à traiter. Il est permis de croire aussi qu’un résident à poste fixe qui sera chargé de protéger les indigènes contre la république et de contrôler sa politique étrangère, pour peu qu’il ait l’humeur processive, chicaneuse, brouillonne et le goût des menées secrètes, des intrigues sourdes, risquera de devenir un personnage fort incommode. Il sera bon d’attacher un grelot au cou de ce chat, c’est une opération délicate. Espérons que les proconsuls et les satrapes ne s’appliqueront pas à brouiller les cartes et que les intentions généreuses de M. Gladstone seront généreusement interprétées. Dans les conversations entre le fort et le faible, il faut que le fort soit loyal et le faible circonspect. Quand la bonne foi discute avec le bon sens, on finit toujours par s’entendre.

Si tout se passe comme nous le souhaitons, les Boers, instruits par l’expérience, se feront un devoir de ne pas donner aux indigènes des sujets de plainte dont on ne manquerait pas de s’armer contre eux ; ils n’écouteront que d’une oreille les paroles dorées des hommes de développement, ils sauront résister aux impatiences de certains rationalistes qui voudraient les faire aller trop vite ou les engager dans de périlleuses entreprises. Malheur à une république qui laisse le désordre s’introduire dans ses finances, le vide se faire dans ses caisses! On profite de ses embarras qu’on exagère, et un beau matin sir Theophilus Shepstone, se présentant en sauveur, la juge bonne à prendre et la met dans sa poche. Quand les Boers auront recouvré leur liberté et appris à en faire un bon usage, il sera prouvé que dans les environs du tropique du Capricorne, en dépit des Zulus, des lions, des loups, des vipères cornues, du serpent imamba et du voisinage de la terrible mouche tsetsé, il peut y avoir une république tranquille, prospère, contente de son sort. Nous en croyons sans peine M. Aylward, lorsqu’il nous affirme qu’un moyen d’être parfaitement heureux est d’être tout simplement un Boer. N’est-ce pas une vérité éternellement vraie que le bonheur n’a pas toujours besoin de confort, ni même de planchers, qu’il n’habite guère dans les palais, surtout quand ils sont minés par les nihilistes, mais qu’on peut le rencontrer dans une pauvre maison, méchamment hourdée et de piètre apparence, dont les rares fenêtres qui ressemblent aux boulins d’un pigeonnier ne sont jamais si étroites qu’il n’y puisse passer sa tête? Encore n’aime-t-il guère à se montrer; il craint les envieux et il se cache.


G. VALBERT.