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j’ai ma voix dans cette assemblée, je suis une partie du tout, de la communauté, de la souveraineté. Tout ce qui n’est pas cette habitation d’hommes libres n’est qu’une écurie de chevaux sous un palefrenier qui leur donne à son gré des coups de fouet. » Les Boers ont la sainte horreur du palefrenier et des coups de fouet, et ayant trouvé la liberté dans le Transvaal, ils s’en sont fait une patrie. Cette terre où l’on rencontre le lion, le scorpion, la tarentule et la vipère à cornes leur est aussi chère que la Touraine au Tourangeau. — « Chaque nation a son pays, est-il dit dans leur chant national ; nous demeurons sur terre africaine. Pour nous il n’y a pas de meilleur pays dans tout ce vaste univers. Nous sommes fiers de porter ce nom : libres enfans de l’Afrique du Sud. » Et en marchant contrôles Anglais, ils chantaient d’une seule voix cet autre couplet : « Chaque nation a son droit, fùt-elle faible et petite. Il y a un œil qui voit tout, il y a un bras qui réprime l’insolence. Que Dieu regarde nos oppresseurs et veille sur l’Afrique du Sud ! »

Ce qui a fait prendre le change à l’Angleterre sur les vrais sentimens des Boers, c’est la facilité trompeuse avec laquelle s’accomplit tout d’abord l’annexion. Le conquérant avait bien choisi son heure. La république s’était donné un administrateur qui, avec les meilleures intentions du monde, avait compromis ses affaires. M. Burgers avait étudié la théologie dans une université d’Europe, il en était revenu rationaliste en religion comme en politique, en politique comme en religion. Les rationalistes ont quelquefois le tort d’aller trop vite. Dès qu’il fut devenu président, M. Burgers entreprit de tout réformer, les écoles, les cours de justice, la monnaie. Il conçut aussi le projet de construire un chemin de fer qui devait mettre le Transvaal en communication avec la mer, relier Pretoria à la baie de Lagoa, et qui eût été pour le pays un bienfait de grand prix. Il négocia des emprunts à cet effet, mais le chemin de fer ne se fit pas. Au mois de janvier 1877, la république devait plus de 200,000 livres sterling, et ses créanciers devenaient pressans. Elle traversait une crise financière. La législature ou volksraad était assemblée ; on discutait, on ergotait, on se chamaillait. L’anarchie régnait sinon dans la rue, du moins dans les têtes. Sur ces entrefaites, on apprit qu’un commissaire anglais, sir Theophilus Shepstone, venait d’arriver à Pretoria, accompagné de son état-major. Il était muni d’un blanc-seing de sa très gracieuse souveraine, qui l’autorisait à annexer tous les territoires qu’il trouverait à sa convenance, à la condition toutefois qu’il consulterait les populations et qu’il obtiendrait leur agrément. Mais il n’eut garde de dire ce qu’il venait faire, ni même qu’il vînt pour faire quelque chose. Il s’enveloppait dans un profond mystère, et chacun se demandait : Que veut-il ? Quand on le pressait de questions, il répondait qu’il était venu en conseiller, en ami, après quoi il rentrait dans son silence. Jamais on n’avait poussé plus loin l’art de se taire.

M. Aylward nous raconte que, depuis son séjour dans le Transvaal,