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des chevaux à monter, plus d’occupation qu’ils ne voudraient pour leurs mains, sinon pour leur âme, et quand ils écorcheraient le hollandais et le cafre, quand ils ne verraient des villes que de loin en loin pendant quelques jours, quand ils n’auraient fréquenté l’école que pendant deux ans, ils apprendraient le monde dans les livres et les journaux et deviendraient des hommes bons, honnêtes, utiles autant qu’heureux. Non, je ne regretterais pas que mes enfans fussent des Boers... Il y a dans l’Afrique du Sud, ajoute-t-il, des hommes dont les idées sont trop grandes pour leur condition et pour celle du pays qu’ils habitent. Dans l’orgueil de leur miraculeux savoir, dans l’enthousiasme de leur zèle honorable, mais mal réglé, ils ne voient pas que ce n’est pas le Boer qui a fait l’Afrique telle qu’elle est, mais que c’est l’Afrique qui a moulé l’industrieux Hollandais à son image et qui en a fait le fermier improgressif, semble-t-il, dont le monde raille la simplicité et les ignorances. »

Admettons que M. Aylward soit disposé à voir les Boers en beau, il n’en est pas moins vrai que ces paysans calvinistes ont une âme fortement trempée et des qualités rares. Il s’est fait en eux une alliance de penchans contraires qui semblent s’exclure et qu’ils concilient comme par miracle. Ils poussent l’amour de leur indépendance jusqu’à la sauvagerie, et en général leurs fermes sont distantes les unes des autres de 14 ou 15 kilomètres. Ils entendent être maîtres chacun chez soi, tout voisinage les inquiète et les moleste, il leur déplaît de voir fumer à l’horizon la cheminée de leur prochain. Et cependant, en dépit de l’espace et des distances, ils ne laissent pas de faire corps, de se toucher les coudes, et ces solitaires conservent le sentiment de la vie commune. On a remarqué combien ils sont friands d’éloquence et de longs discours. Aux jours de grandes fêtes, comme l’a dit M. Montégut, on les voit quitter leurs tanières et affluer des districts les plus lointains dans Pretoria, Potchefstroom ou Blœmfontein, encombrant les places de leurs chariots attelés de six paires de bœufs et attendant leur tour de pénétrer dans l’église, où le service sacré doit être renouvelé plus d’une fois pour suffire à leur appétit. Mais ce n’est pas seulement pour entendre des sermons qu’ils s’arrachent à leur chère solitude, ils s’assemblent aussi pour délibérer en commun sur les affaires publiques, et la séance durât-elle du matin au soir, la patience de leurs oreilles est à l’épreuve de tout. Ils ont un cœur de citoyens et de patriotes, ils se sentent nation ; le Transvaal est pour eux une Hollande africaine, où ils ont à jamais fixé leur résidence et leurs désirs. On a avancé que la patrie est un bon champ, dont le possesseur, logé dans une maison bien ou mal tenue, peut dire : « Ce champ que je cultive, cette maison que j’ai bâtie sont à moi, j’y vis sous la protection de lois qu’aucun tyran ne peut enfreindre. Quand ceux qui possèdent comme moi des champs et des maisons s’assemblent pour leurs intérêts communs,