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s’il en reprend un sur mille, on chante victoire; mais qu’on perde l’espèce sans avoir obtenu même une feuille, on condamne l’inconnue sans autre forme de procès. Un sentiment de patriotisme mal entendu nous fait préférer l’insuccès dans des essais condamnés d’avance par la science d’outre-mer à l’acceptation pure et simple de cette science consacrée par la pratique et le succès. Ainsi acceptée, elle serait fécondée par notre climat et notre intelligence. Rien n’est nouveau sous le soleil : l’esprit qui portait les Américains à taxer d’incapacité les vignerons français est le même que celui qui empêche d’accepter d’un seul coup la vigne américaine, ses traditions, ses pratiques, en les modifiant peu à peu selon les besoins du pays, sinon pour notre plus grande gloire, au moins pour notre plus grand profit.

Retournons au Nouveau-Monde et à ses persévérans travaux.

Plusieurs essais tentés par des Suisses, des Français, des Allemands n’obtinrent aucun succès; notamment, en 1790, une colonie suisse avec un capital de 10,000 dollars, somme énorme pour le temps, fit de grandes plantations dans le Jessamine County, Kentucky. Ces colons échouèrent dès le début avec leurs cépages européens, cependant ils ne se découragèrent qu’en 1801 : ils changèrent alors de pays et de cépages et élirent domicile à 45 milles au sud de Cincinnati, sur l’Ohio, dans un endroit qu’ils nommèrent Vevay. Ils s’adressèrent cette fois à la vigne indigène: le schuylskill-mascadel, découvert sur les bords du Schuylskill par Alexander, jardinier de Penn. Dufour, l’intelligent directeur de la colonie, donna à ce cépage le nom de cape ou de constantia, soit pour spécifier une ressemblance avec son homonyme, soit pour conjurer les préventions fâcheuses des colons contre un cépage sans attaches à la mère patrie.

Voilà déjà deux phases bien caractérisées de la viticulture en Amérique : la première, — importation européenne, échec complet; la seconde, — essai de la race native, prise telle quelle au bord d’un fleuve, succès, puisque la colonie cultivait encore une partie de ces vignes quarante ans après.

La troisième phase est caractérisée par des efforts patiens pour améliorer cette vigne native.

Pour la clarté de ce qui va suivre, il devient utile de tracer quelques grandes lignes de démarcation divisant les principaux cépages en genres, espèces et variétés. Un tableau permettra d’éviter l’aridité de ces détails :


FERTILES, PLANTS DIRECTS.

Sud, estivalis, goût franc.
Nord, labrusca, goût foxé.

INFERTILES, PORTE-GREFFES. riparia, reprise facile. cordifolia, reprise difficile.