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le départ du village, la démoralisation d’un pays que l’amour du travail a conservé sain jusqu’ici. La seconde, c’est que certaines espèces de l’Amérique (états du Sud), espèces pures de toute hybridation européenne, réussissent et résistent sur nos coteaux ensoleillés, et que d’autres prospèrent dans nos plaines riches et saines; que leur produit est suffisant pour nourrir l’homme qui les cultive et pour faire rendre à la terre ce que d’autres cultures ne sauraient obtenir d’elle.

Avant de relever dans l’article de M. Prosper de Lafitte les points sur lesquels mon expérience refuse soumission à la sienne, je crois utile de résumer ce que les Américains nous ont appris du passé et du présent de leurs vignes. J’y ajouterai le peu que j’ai glané en France et enfin mes expériences personnelles depuis six ans.

Commençons par la légende[1].

Leif, fils d’Éric le Rouge, acheta le vaisseau de Byarnes[2]. Il quitta le rivage d’Iceland, en l’an 1000, avec trente-cinq hommes et un Allemand nommé Tyrker, ami de son père. Battus par une tempête, ils furent jetés sur une côte inconnue, mais magnifique. Ils l’explorèrent ravis et ne s’aperçurent qu’en regagnant le vaisseau de l’absence de Tyrker. Inquiet, Leif, suivi de douze hommes, se mit à sa recherche et le trouva, à peu de distance du rivage, revenant accablé sous le poids des fruits qu’il rapportait. Il parla et dit : « J’ai trouvé des coteaux couronnés de pampres comme ceux que j’ai connus jadis; j’ai cueilli ces fruits savoureux et me suis attardé vaincu par le charme de cette vallée, qui me rappelait le pays de mon enfance. » Leif donna alors un nom à cette contrée, qu’il appela Vineland,

Voilà la légende. Est-elle à l’histoire ce que l’aurore est au jour?

Nous trouvons ensuite un vestige de viticulture en 1564. Dans la Floride, il fut fait, paraît-il, du vin avec le raisin du pays.

La première plantation sérieuse de vignes européennes fut faite en Virginie, vers 1620, par la London Company, avec une apparence de succès telle, que cette compagnie appela des vignerons français pour compléter son œuvre.

Les vignes périrent, par la faute des vignerons français; — on ne pouvait accuser les vignes elles-mêmes, ces gloires de l’ancien monde. Le nom du phylloxéra était aussi inconnu que son existence. — Il ne restait de ressource évidemment que de conclure à l’incapacité des Français.

Ne nous indignons pas, nous en faisons autant tous les jours. Lorsque les Américains nous envoient un plant, selon eux réfractaire au bouturage, on dit en France qu’on saura bien le faire reprendre;

  1. Découverte de l’Amérique au Xe siècle, par Prasta, publié à Stralsund.
  2. Probablement Björn, mot Scandinave signifiant ours, et en même temps nom d’homme.