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qu’il ne se glissât parmi eux des personnes qui n’avaient pas le droit de voter. En même temps, on multiplia les gardiens autour des corbeilles. Des gens honorables, choisis tout exprès dans la centurie, étaient chargés de veiller sur elles, tant que durait le vote. De plus, on permit aux candidats d’envoyer quelques-uns de leurs amis, qui devaient avoir l’œil sur tout le monde et empêcher qu’on fit rien qui fût contraire à leurs intérêts.

Le scrutin fini, on emportait les corbeilles dans un édifice voisin qu’on appelait diribitorium, où l’on comptait les suffrages. Les électeurs pouvaient alors sortir de l’ovile et se répandre dans le champ de Mars. Beaucoup allaient chercher un peu de fraîcheur sous les ombrages de la Villa publica, vieille et vaste maison où la république logeait les généraux qui attendaient le triomphe, les ambassadeurs étrangers, avant que le sénat les eût reçus, enfin tous les personnages d’importance qui n’avaient pas encore le droit d’entrer dans l’enceinte de la ville. Pendant ce temps on dépouillait le scrutin. C’était une affaire très importante, et qui demandait plus d’attention et de vigilance que tout le reste. Il n’y avait rien de plus facile que de marquer à un candidat plus de points qu’il n’en avait réellement, et Varron raconte qu’on saisissait quelquefois des gens qui jetaient des bulletins dans les corbeilles. Pour empêcher les fraudes, on avait fini par charger neuf cents chevaliers romains, d’une honnêteté éprouvée, de faire le recensement des votes. Ici encore, les candidats avaient le droit d’envoyer un certain nombre de leurs partisans pour surveiller l’opération. Il ne restait plus, quand elle était finie, qu’à proclamer solennellement le nom des élus. C’est ce que faisait le président de l’assemblée, en ajoutant, d’après la formule consacrée, qu’il souhaitait que le choix fût heureux et favorable à la république : quod bonum, felix faustumque sit[1] ! Les applaudissemens retentissaient alors de tous les côtés, et les amis des nouveaux consuls les reconduisaient en triomphe à leur demeure.

Tout est-il fini? et notre candidat, une fois qu’il est élu, est-il enfin au bout de ses peines ? Pas encore : il peut lui rester, même après son succès, des épreuves à braver, des périls à courir. Ses adversaires, comme on pense, sont furieux; quand on s’est donné tant de mal pendant deux ans, on ne se résigne pas du premier

  1. Il faut faire remarquer que le président de l’assemblée avait à la rigueur le droit de ne pas proclamer le résultat du vote, s’il le trouvait contraire à l’intérêt de la république, et d’annuler ainsi l’élection. Assurément, il n’usait guère de ce pouvoir exorbitant, mais il menaçait quelquefois d’en user, ce qui exerçait une certaine pression sur les électeurs. C’était un des nombreux moyens imaginés par les conservateurs de Rome pour corriger les erreurs du suffrage universel.