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monde singulièrement hostile à la mémoire de Racine. Mais après avoir longtemps essayé ses forces dans des genres qui ne lui convenaient pas, Marivaux, un jour, éclairé par son premier succès, — ce fut justement la Surprise de l’amour, en 1722, aux Italiens, — et voyant quel rôle épisodique jusqu’alors, et depuis Molière, l’amour avait joué sur la scène comique, aura senti l’inspiration venir, et qu’il était entré dans la voie de sa fortune littéraire.

L’amour, en effet, et non pas seulement l’amour-propre, comme on l’a dit, voilà le vrai domaine de Marivaux. Mais si toutes ses bonnes comédies peuvent être appelées des surprises de l’amour, ce n’est nullement à dire qu’elles se ressemblent toutes. Il tenait à cœur de se justifier de cette critique, et il avait raison. « J’ai guetté, disait-il, dans le cœur humain, toutes les niches différentes où peut se cacher l’amour, lorsqu’il craint de se montrer, et chacune de mes comédies a pour objet de le faire sortir d’une de ces niches.» Et encore, précisant lui-même et faisant ressortir les nuances : « Dans mes pièces, c’est tantôt un amour ignoré des deux amans, — tantôt un amour qu’ils sentent et qu’ils veulent se cacher l’un à l’autre; — tantôt un amour timide qui n’ose se déclarer, — tantôt enfin un amour incertain et comme indécis, un amour à demi né, pour ainsi dire, dont ils se doutent sans en être bien sûrs, et qu’ils épient au dedans d’eux-mêmes avant de lui laisser prendre l’essor. Où est en cela la ressemblance qu’on ne cesse de m’objecter?» Me sera-t-il permis, incidemment, de revenir ici sur ce qu’on nous disait plus haut d’un Marivaux « protestant contre l’inégalité des conditions? » Et ne voit-on pas bien que s’il n’avait pas écrit les Fausses Confidences ou le Préjugé vaincu, s’il n’avait pas marié quelque comtesse avec quelque intendant, ou manière d’intendant, et quelque petite marquise avec quelque bourgeois, c’est, comme il dit lui-même, une des « niches où se cache l’amour » et des plus profondes, celle que creuse dans un cœur féminin la vanité de la naissance et du rang, dont il eût négligé de le faire sortir. Procédé d’artiste, et coquetterie de peintre qui ne veut rien laisser échapper de ses modèles, que ces prétendues idées réformatrices du discret Marivaux !

Mais comme il avait raison de demander où était la ressemblance qu’on lui reprochait entre tous ces petits chefs-d’œuvre ! « Vous avez beau dire, répondait d’Alembert, il n’importe pas si dans vos comédies l’amour se cache ou ne se cache pas de la même manière, et c’est toujours un amour qui se cache. » Le bon raisonnement ! et qui sent bien son XVIIIe siècle, ce siècle d’analyse et de simplification, où l’on travaillait à qui mieux réduirait l’homme en quelques traits essentiels et fonderait les sociétés à venir sur la loi de la moindre action !